Page:Thiers - Histoire du Consulat et de l’Empire, tome 12.djvu/15

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éclaircir les secrets de la politique et de la guerre, à narrer avec un ordre lumineux, à être équitable enfin, en un mot à être un véritable narrateur. L’oserai-je dire ? presque sans art, l’esprit clairvoyant que j’imagine n’a qu’à céder à ce besoin de conter qui souvent s’empare de nous et nous entraîne à rapporter aux autres les événements qui nous ont touché, et il pourra enfanter des chefs-d’œuvre. Au milieu de mille exemples que je pourrais citer, qu’on me permette d’en choisir deux, Guichardin et le grand Frédéric.

Guichardin n’avait jamais songé à écrire, et n’en avait fait aucun apprentissage. Toute sa vie il avait agi comme diplomate, administrateur, et une fois ou deux comme militaire ; mais c’était l’un des esprits les plus clairvoyants qui aient jamais existé, surtout en affaires politiques. Il avait l’âme un peu triste par nature et par satiété de la vie. Ne sachant à quoi s’occuper dans sa retraite, il écrivit les annales de son temps, dont une partie s’était accomplie sous ses yeux, et il le fit avec une ampleur de narration, une vigueur de pinceau, une profondeur de jugement, qui rangent son histoire parmi les beaux monuments de l’esprit humain. Sa phrase est longue, embarrassée, quelquefois un peu lourde, et pourtant elle marche comme un homme vif marche vite, même avec de mauvaises