Page:Thiers - Histoire du Consulat et de l’Empire, tome 12.djvu/16

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jambes. Il connaissait profondément la nature humaine, et il trace de tous les personnages de son siècle des portraits éternels, parce qu’ils sont vrais, simples et vigoureux. À tous ces mérites il ajoute le ton chagrin et morose d’un homme fatigué des innombrables misères auxquelles il a assisté, trop morose, selon moi, car l’histoire doit rester calme et sereine, mais point choquant, parce qu’on y sent, comme dans la sévérité sombre de Tacite, la tristesse de l’honnête homme.

Le grand Frédéric, qui ne fut jamais triste, aimait passionnément les lettres, et c’est assurément l’un des traits les plus nobles de son caractère, que cet amour des lettres qui le soutint dans les moments désespérés, où plus d’une fois sa fortune sembla près de s’abîmer. Le soir de batailles perdues, il se consolait en écrivant de mauvais vers, mauvais non par la pensée, car on y rencontre à chaque instant des idées profondes, ingénieuses ou piquantes, mais mauvais par la forme, car les vers ne sauraient se passer de correction, d’harmonie et de grâce. La pensée sans l’art n’est rien en poésie. Ce n’est pas encore là tout ce qui manquait au grand Frédéric pour composer des livres : n’ayant jamais fait de la pratique des lettres son art, n’en faisant que son délassement, il n’avait jamais étendu ses œu-