Page:Thiers - Histoire du Consulat et de l’Empire, tome 12.djvu/18

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leurs généraux qu’il avait vaincus, leurs ministres qu’il avait trompés, ne se plaisant que dans la société des gens de lettres qui cependant par leur vanité lui prêtaient souvent à rire, aimant à faire pires qu’ils n’étaient lui et les autres, intempérant, cynique, il a donné à l’histoire le ton de la médisance, mais a immortalisé celle qu’il a laissée en la marquant du caractère de la plus profonde intelligence et du plus rare bon sens qui fussent jamais.

Je ne dis rien de César, parce qu’il était l’un des écrivains les plus exercés de son siècle, ni de Napoléon, parce qu’il l’était devenu. Mais les deux exemples que je viens de citer suffisent pour rendre ma pensée, et pour prouver que quiconque a l’intelligence des hommes et des choses a le vrai génie de l’histoire.

Mais, m’objectera-t-on, l’art n’est donc rien, l’intelligence à elle seule suffit donc à tout ! Le premier venu, doué seulement de cette compréhension, saura composer, peindre, narrer enfin, avec toutes les conditions de la véritable histoire ! Je répondrais volontiers que oui, s’il ne convenait cependant de mettre quelque restriction à cette assertion trop absolue. Comprendre est presque tout, et pourtant n’est pas tout ; il faut encore un certain art de composer, de peindre, de ménager les couleurs, de distribuer la lumière, un certain talent