Page:Thiers - Histoire du Consulat et de l’Empire, tome 12.djvu/19

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d’écrire aussi, car c’est de la langue qu’il faut se servir, qu’elle soit grecque, latine, italienne ou française, pour raconter les vicissitudes du monde. Et, j’en conviens, il faut à l’intelligence joindre l’expérience, le calcul, c’est-à-dire l’art.

Ainsi l’homme est un être fini, et il faut presque faire entrer l’infini dans son esprit. Les événements que vous avez à lui exposer se passent souvent en mille endroits, non-seulement en France, si le théâtre de votre histoire est en France, mais en Allemagne, en Russie, en Espagne, en Amérique et dans l’Inde ; et cependant, vous qui lui contez ces événements, lui qui les lit, ne pouvez être que sur un point à la fois. Le grand Frédéric se bat en Bohême, mais on se bat en Thuringe, en Westphalie, en Pologne. Sur le champ de bataille où il dirige tout, il se bat à l’aile gauche, mais on se bat aussi à l’aile droite, au centre, et partout. Même quand on a saisi avec intelligence la chaîne générale qui lie les événements entre eux, il faut un certain art pour passer d’un lieu à un autre lieu, pour aller ressaisir les faits secondaires qu’on a dû négliger pour le fait le plus important ; il faut sans cesse courir à droite, à gauche, en arrière, sans perdre de vue la scène principale, sans laisser languir l’action, et sans rien omettre non plus, car tout fait omis constitue une faute, non-seulement contre l’exactitude matérielle,