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DE M. THIERS.

n’a point séparé les corps qui délibèrent des corps qui discutent ; deux tribunes. retentissent sans cesse ; la presse élève ses cent voix. Livré à soi, tout cela marche. Un gouvernement pacifique supporte ce que ne put pas supporter un gouvernement illustré par la victoire. Pourquoi, messieurs ? parce que la liberté, possible aujourd’hui à la suite d’une révolution pacifique, ne l’était pas alors à la suite d’une révolution sanglante.

Les hommes de ce temps avaient à se dire d’effrayantes vérités. Ils avaient versé le sang les uns des autres ; ils s’étaient réciproquement dépouillés ; quelques-uns avaient porté les armes contre leur patrie. Ils ne pouvaient être en présence avec la faculté de parler et d’écrire, sans s’adresser des reproches cruels. La liberté n’eût été pour eux qu’un échange d’affreuses récriminations.

Messieurs, il est des temps où toutes choses peuvent se dire impunément, où l’on peut sans danger reprocher aux hommes publics d’avoir opprimé les vaincus, trahi leur pays, manqué à l’honneur ; c’est quand ils n’ont rien fait de pareil ; c’est quand ils n’ont ni opprimé les vaincus, ni trahi leur pays, ni manqué à l’honneur. Alors cela peut se dire sans danger, parce que cela n’est pas : alors la liberté peut affliger quelquefois les cœurs honnêtes ; mais elle ne peut pas bouleverser la société. Mais malheureusement en 1800 il y avait des hommes qui pouvaient dire à d’autres : Vous avez égorgé mon père et mon fils, vous détenez mon bien, vous étiez dans les rangs de l’étranger. Napoléon ne voulut plus qu’on pût s’adresser de telles paroles. Il donna aux haines les