Page:Thoinan - Les Relieurs français, 1893.djvu/152

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Ce système de décoration a bien un aspect un peu confus, causé par ces rinceaux à tortillons et toutes ces petites fleurettes éparpillées qui cependant font une heureuse opposition à la raideur des entrelacs ; mais ces feuillages au dessin accentué se détachant avec netteté contre-balancent ce papillotage en reposant l’œil agréablement. Si on excluait les rinceaux et certains petits motifs, comme on le fit quelquefois, en ne se servant pour remplir les vides formés par le jeu des entrelacs que de ces branchages si décoratifs, feuilles et palmes, on obtenait encore un effet des plus remarquables, gagnant même en distinction sans rien perdre du côté de la richesse[1].

Ce sont surtout les reliures en maroquin qu’on décorait d’une façon aussi splendide ; cependant on trouve des volumes recouverts en vélin blanc récemment mis à la mode et dont la dorure est du même style.

Il est encore vraiment impossible de citer avec la moindre certitude les noms des artistes qui exécutèrent ces brillantes compositions. On attribue bien aux Eve la paternité de ce style, parce qu’ils étaient relieurs du roi au moment de sa grande vogue, mais si cette qualité de fournisseur royal impliquait quelque capacité chez ceux qui en étaient revêtus, elle n’était pas la preuve d’une supériorité transcendante sur tous leurs

  1. Les reliures riches de ce style sont très improprement appelées reliures à la fanfare, et cela qui le croirait ? Parce que, vers 1825, Thouvenin s’en inspira pour dorer un exemplaire d’un volume de 1613, appartenant à Nodier et dont le titre était : Les Fanfares et courvées abbadesques des Roule-Bontemps de la haute et basse Coquaigne et dépendances. Malgré la bizarrerie de l’application du titre d’un livre au style de sa reliure, faite plus de deux siècles plus tard, et en dépit de l’anachronisme par trop violent qui en résultait, cette désignation a prévalu, puisque des praticiens, même des plus habiles, l’ont adoptée. Ils l’étendent de plus aux vignettes employées isolément, qu’ils nomment fanfares sans la moindre hésitation. Mais tout le monde n’étant pas au courant de l’origine d’un nom aussi sonore, il se produit parfois des méprises divertissantes. C’est ainsi qu’un jour l’heureux propriétaire d’un superbe exemplaire ancien de ce style prétendu à la Fanfare s’écriait devant moi dans son enthousiasme : « Comme ce nom est bien trouvé ! En voyant ces rinceaux recourbés en cor de chasse, ne vous semble-t-il pas entendre sonner un hallali joyeux et éclatant ? » Il traita naturellement de fable, l’histoire du volume de Thouvenin que je lui contai, fort naïvement, je l’avoue, car son siège était fait et parfait ; aussi n’en faut-il pas douter, les rinceaux en trompe de chasse de sa reliure sonneront toujours pour lui, comme pour d’autres, la plus triomphante des fanfares !