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ii. — rivalen et blancheflor

de Didon, qui aima tant qu’elle se brûla elle-même sur un bûcher, au départ de son amant, un étranger venu d’une terre inconnue.

Or, le puissant roi Marke avait une sœur. Elle était S. chap. V. belle et gracieuse, de noble maintien, louable et désirable entre toutes, courtoise et bien enseignée. Son nom était Blancheflor[1], et certes il n’était pas au monde une rose de telle grâce et de telle beauté. À la voir briller comme une pierre précieuse[2], tous ceux du royaume convenaient [G. 632-3].qu’elle n’avait point sa pareille pour la sagesse et la prudence de l’esprit, pour les manières avisées et fines, pour la largesse et la noblesse du cœur. Riches et pauvres, jeunes et vieux, puissants et misérables, la chérissaient en leur cœur, et, si loin qu’on entendait parler d’elle dans les royaumes étrangers, sa louange croissait, et beaucoup de hauts princes et les plus beaux damoiseaux s’éprenaient d’elle sans même l’avoir vue.

S. chap. VI.
[E. 76-7].
Blancheflor semblait vivre dans la joie. Mais on dit justement qu’il n’est guère de bonheur où rien ne soit à reprendre, et bien peu pouvaient deviner la cause de la tristesse qu’on remarquait en elle. C’est que, peu de temps après avoir vu Rivalen, elle était tombée en des pensers si divers, en un tel trouble, en des soucis dont elle était si peu coutumière, qu’elle ne pouvait com-

  1. S ne donne que beaucoup plus loin (chap. VIII) le nom de la jeune fille, et souvent frère Robert, comme on l’a déjà vu, diffère ainsi longuement de nommer ses personnages, sans qu’il y ait lieu de croire que Thomas usât de ce singulier procédé littéraire. S appelle la sœur de Marc Bleinsinbil, nom qu’on ne sait expliquer, et qui n’était certes pas celui de l’original (E Blauncheflour ; G Blancheflûr). J’interprète par Blancheflor la graphie anglo-normande Blancheflûr qui était probablement celle de Thomas.
  2. S nous dit ici que la jeune princesse « avait bien conscience » qu’il n’était pas au monde une femme qui la valût. Je n’ai pas cru devoir conserver dans le texte ce singulier éloge, qui a surpris aussi Kölbing (p. 205).