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ii. — rivalen et blancheflor

prendre son cœur : «  · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · G v. 1006-11. Dieu ! songeait-elle[1], que m’est-il advenu ? En quoi ai-je mérité de telles angoisses ? ». ||* Jamais pourtant je n’ai porté haine ni fait tort à personne, en faits ni en paroles *||, mais toujours je me suis appliquée à traiter [G 682-92].chacun avec douceur et bonté… » Richement vêtue et parée, elle sortit de sa tente, suivie d’une troupe nombreuse et belle de damoiselles, pour voir le tournoi des chevaliers et des damoiseaux. À peine regardait-elle depuis quelques instants leurs jeux et leurs joûtes qu’elle aperçut Kanelangrès et qu’elle reconnut qu’il surpassait tous les autres chevaliers par l’adresse, la vaillance et la prouesse. [G 693-701].Quand elle le vit, quand elle entendit les hommes et les femmes louer sa hardiesse et sa chevalerie, quand elle eut longtemps contemplé sa grâce à chevaucher et à combattre, toute sa pensée s’en fut vers lui, et tout son amour. Elle pousse un soupir, une douleur perçante la traverse, elle brûle d’un feu intérieur qui pénètre soudain son cœur et monte jusqu’à son visage ; toute la beauté que nature a misé en elle s’évanouit ; elle se sent misérable et ne sait pourquoi. Elle soupire encore, un poids lourd l’oppresse, son cœur, ses membres tremblent, la sueur se répand sur tout son corps ; l’ardeur qui l’embrase lui ravit le sens :

  1. Ici devait se lire un long monologue, dont S ne nous donne que la substance, en style indirect, et en cinq ou six lignes. Ce qui suggère cette supposition, c’est que G, qui traite très librement toute cette scène, utilise beaucoup plus loin les pensées que nous donne ici la saga. La modification maîtresse de Gottfried a consisté à supposer que Blancheflor remarque pour la première fois Rivalen pendant le tournoi, et à écourter cette scène du tournoi pour renvoyer aux jours qui suivent la peinture de l’amour qui s’éveille au cœur de la jeune fille. Alors ; il prête à Blancheflor un monologue pour lequel il reprend (comme on en verra d’autres exemples) des passages de Thomas négligés d’abord et que nous réintégrons à leur place primitive, c’est-à-dire ici-même.