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ii. — rivalen et blancheflor

« Dieu ! songe-t-elle, d’où me vient ce mal inconnu ? Comme cette souffrance est étrange ! Je ne sens nul mal en mon corps, et ce feu me consume sans que je sache d’où il naît. Il semble que je sois en santé, et pourtant une insoutenable maladie me tourmente. D’où vient ce mal qui me torture comme du poison ? Se trouvera-t-il un médecin assez habile pour me donner un breuvage qui le guérisse ? J’en doute, si cruellement la chaleur de ce jour m’a empoisonnée ! Non, je n’aurais pas cru que cette maladie me réservât de telles douleurs ! La chaleur me fait frissonner, le froid me mouille de sueur, et pourtant ni le chaud ni le froid ne sont des maladies. Chaleur et froidure me tourmentent à la fois, sans vouloir se séparer ; et je dois souffrir l’une et l’autre, puisque personne ne veut me secourir. »

S chap. VII.
[E 77-88]
Mais elle regarda de nouveau vers le champ du tournoi et vit comme les chevaliers le traversaient au galop, des destriers et brisaient contre les écus les plus fortes lances. À ce spectacle, l’ardeur qui la dévorait s’atténua ; Blancheflor se calma un peu et oublia son angoisse ; car telle est la nature de l’amour que le divertissement et le plaisir le fendent plus facile à supporter. Ainsi en fut-il pour Blancheflor ; quand elle regardait les jeux des chevaliers, sa peine s’amoindrissait. Mais quand elle vit encore comment Kanelangrès l’emportait sur tous par sa beauté et sa vaillance, son trouble se réveilla plus cruel.

G 1000-3.
E 78-86.
*|| — « Certes, dit-elle, cet homme est un enchanteur, et c’est par sortilège que, pour l’avoir vu si peu de temps, je souffre telle angoisse. Seigneur Dieu, sois défenseur et gardien de ma jeunesse, car ce chevalier fait naître de grands tourments, G 994-9.et si toutes les dames qui le contemplent en souffrent comme moi, c’est donc qu’il a en son pouvoir les forces de la magie ! Oui, c’est à son aspect que je frissonne et que je brûle ; à la male heure est-il venu ici