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Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/128

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une volupté singulière à causer à travers l’étang avec un compagnon de passage sur le bord opposé. Dans ma maison nous étions si près l’un de l’autre que pour commencer nous n’entendions rien, — nous ne pouvions parler assez bas pour nous faire entendre, comme lorsqu’on jette en eau calme deux pierres si rapprochées qu’elles entrebrisent leurs ondulations. Sommes-nous simplement loquaces et bruyant parleurs, qu’alors nous pouvons supporter de nous tenir tout près l’un de l’autre, côte à côte, et de sentir notre souffle réciproque ; mais le parler est-il réservé, réfléchi, qu’il demande plus de distance entre les interlocuteurs, afin que toutes chaleur et moiteur animales aient chance de s’évaporer. Si nous voulons jouir de la plus intime société avec ce qui en chacun de nous est au-delà, ou au-dessus, d’une interpellation, il nous faut non seulement garder le silence, mais généralement nous tenir à telle distance corporelle l’un de l’autre qu’en aucun cas nous ne nous trouvions dans la possibilité d’entendre notre voix réciproque. Envisagée sous ce rapport la parole n’existe que pour la commodité de ceux qui sont durs d’oreille ; mais il est maintes belles choses que nous ne pouvons dire s’il nous les faut crier. Dès que la conversation commençait à prendre un tour plus élevé et plus grandiloquent, nous écartions graduellement nos sièges au point qu’ils arrivaient à toucher le mur dans les coins opposés, sur quoi, en général, il n’y avait pas assez de place.

Ma pièce « de choix », cependant — mon salon — toujours prête aux visites, sur le tapis de laquelle le soleil tombait rarement, était le bois de pins situé derrière ma maison. C’est là, les jours d’été, lorsqu’il venait des hôtes distingués, que je les conduisais, et le serviteur qui balayait le parquet, époussetait les meubles, tenait les choses en ordre, en était un sans prix.

Venait-il rien qu’un hôte, un seul, qu’il partageait parfois mon frugal repas, et ce n’interrompait nullement la conversation de tourner la pâte de quelque pudding à la minute, ou de surveiller la levée et la maturation d’une miche de pain dans les cendres, en attendant. Mais s’il venait vingt personnes s’asseoir dans ma maison il ne pouvait être question de dîner, alors même qu’il pût y avoir assez de pain pour deux, plus que si manger eût été un usage désuet. C’est naturellement que nous pratiquions l’abstinence ; et ce n’était jamais pris pour une offense aux lois de l’hospitalité, mais pour le plus convenable et sage des procédés. La dépense et l’affaiblissement de vie physique, qui si souvent demandent réparation, semblaient en tel cas miraculeusement retardées, et la force vitale ne perdait pas un pouce de terrain. J’eusse pu recevoir de la sorte mille personnes aussi bien que vingt ; et s’il arrivait jamais qu’on quittât ma maison désappointé ou la faim aux dents lorsqu’on m’avait trouvé chez moi, on pouvait du moins être assuré de toute ma sym-