Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/129

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pathie. Tant il est facile, quoique nombre de maîtres de maison en doutent, d’établir de nouvelles et meilleures coutumes en guise des anciennes. Quel besoin de fonder sa réputation sur les dîners que l’on donne ? Pour ma part jamais nul cerbère ne me détourna plus sûrement de fréquenter une maison que l’étalage fait pour m’offrir à dîner, que toujours je pris pour un avis poli et détourné de n’avoir plus à causer pareil ennui. Je crois que jamais plus je ne revisiterai ces scènes-là. Je serais fier d’avoir pour devise de ma case ces lignes de Spenser qu’un de mes visiteurs inscrivît sur une feuille dorée de noyer pour carte :

« Arrived there, the little house they fill,
  Ne looke for entertainment where none was ;
Rest is their feast, and all things at their will ;
 The noblest mind the best contentment has. »[1]

Winslow, plus tard gouverneur de la colonie de Plymouth, étant allé avec un compagnon à pied par les bois faire une visite de cérémonie à Massasoit, arriva fatigué et mourant de faim à sa hutte ; bien reçus par le roi, point ne fut question pour eux cependant de manger ce jour-là. À l’arrivée de la nuit, ici je cite leurs propres paroles : « Il nous coucha sur le lit avec lui et sa femme, eux à un bout et nous à l’autre, ce lit ne se composant que de planches, placées à un pied du sol, et d’une mince natte étendue dessus. Deux autres de ses dignitaires, par manque de place, se pressèrent contre et sur nous ; si bien que le gîte fut pire fatigue que le voyage. » À une heure, le jour suivant, Massasoit « apporta deux poissons qu’il avait tués au fusil », environ trois fois gros comme une brème ; « ceux-ci étant bouillis, il y eut au moins quarante regards à se les partager. Presque tout le monde en mangea. Ce fut notre seul repas en deux nuits et un jour ; et n’eût l’un de nous acheté une gelinotte, que notre voyage se fût accompli dans le jeûne. » Craignant de se trouver la tête affaiblie par le manque de nourriture et aussi de sommeil, ceci dû aux « chants barbares des sauvages (car ces derniers avaient coutume de chanter pour s’endormir) », et afin de pouvoir rentrer tandis qu’ils avaient la force de voyager, ils se retirèrent. Pour ce qui est du logis, ils furent, c’est vrai, pauvrement reçus, quoique ce qu’ils trouvèrent une incommodité fût sans nul doute destiné à leur faire honneur ; mais en tant


  1. « Arrivés, les voici remplir la maisonnette
    Nul regard au festin où n’est pas de festin ;
    Tout paraît à leur gré, le repos est leur fête :
    Au plus noble esprit de le plus louer son destin. »
    ________The Faerie Queene, ch. XXXV.