Je ne pus que noter quelques-unes des particularités de mes visiteurs. Filles, garçons et jeunes femmes généralement semblaient contents d’être dans les bois. Ils regardaient dans Walden, puis reportaient leurs yeux sur les fleurs, et mettaient à profit leur temps. Les hommes d’affaires, même les fermiers, ne pensaient qu’à la solitude et aux occupations, à la grande distance à laquelle je demeurais de ceci ou de cela ; et s’ils déclaraient ne pas être ennemis d’une promenade de temps à autre dans les bois, il était évident que ce n’était pas vrai. Des gens inquiets, compromis, dont le temps était tout entier pris par le souci de gagner leur vie ou de la conserver ; des ministres qui parlaient de Dieu comme si leur était octroyé le monopole du sujet, et ne pouvaient supporter toutes espèces d’opinions ; docteurs, jurisconsultes, inquiètes maîtresses de maison qui fourraient le nez dans mon buffet et mon lit lorsque j’étais sorti – comment Mrs *** arriva-t-elle à savoir que mes draps n’avaient pas la blancheur des siens ? – jeunes gens qui avaient cessé d’être jeunes, et avaient conclu que le plus sûr était de suivre le sentier battu des professions, – tous ceux-ci généralement déclaraient qu’il n’était pas possible de faire autant de bien dans ma position. Oui ! c’était là le chiendent. Les vieux, les infirmes et les timides, de n’importe quel âge ou quel sexe, pensaient surtout à la maladie, à un accident imprévu, à la mort ; pour eux la vie était pleine de danger, – quel danger y a-t-il si vous n’en imaginez pas ? – et ils croyaient qu’un homme prudent choisirait avec soin la plus sûre position, celle où le Dr B… serait là sous la main au premier signal. Pour eux le village était à la lettre une com-munauté[1], une ligue pour la mutuelle défense, et vous les supposeriez incapables d’aller cueillir l’airelle sans pharmacie de poche. Le fin mot de l’affaire, c’est que, si l’on est en vie, il y a toujours danger de mourir, quoique le danger doive être reconnu pour moindre en proportion de ce que l’on commence par être demi-mort. Un homme assoit autant de risques qu’il en court. Pour finir il y avait les soi-disant réformateurs, les plus grands raseurs de tous, qui croyaient que je passais le temps à chanter :
C’est la maison que j’ai bâtie,
C’est l’homme qui habite la maison que j’ai bâtie[2] ;
sans savoir que la troisième ligne était :
Ce sont les gens qui obsèdent l’homme
Qui habite la maison que j’ai bâtie.