Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/148

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nous, et le fermier mène la plus abjecte des existences. Il ne connaît la Nature qu’en voleur. Caton prétend que les profits de l’agriculture sont particulièrement pieux ou justes (maximeque pius quœstus), et selon Varron les anciens Romains « appelaient la même terre Mère et Cérès, et croyaient que ceux qui la cultivaient, menaient une existence pieuse et utile, qu’ils étaient les seuls survivants de la race du Roi Saturne ».

Nous oublions volontiers que le regard du soleil ne fait point de distinction entre nos champs cultivés et les prairies et forêts. Tous ils reflètent comme ils absorbent ses rayons également, et les premiers ne sont qu’une faible partie du resplendissant tableau qu’il contemple en sa course quotidienne. Pour lui la terre est toute également cultivée comme un jardin. Aussi devrions-nous recevoir le bienfait de sa lumière et de sa chaleur avec une confiance et une magnanimité correspondantes. Qu’importe que j’évalue la semence de ces haricots, et récolte cela au déclin de l’année ? Ce vaste champ que si longtemps j’ai regardé, ne me regarde pas comme le principal cultivateur, mais regarde ailleurs des influences plus fécondantes pour lui, qui l’arrosent et le rendent vert. Ces haricots ont des produits qui ne sont pas moissonnés par moi. Ne poussent-ils pas en partie pour les marmottes ? L’épi de blé (en latin spica, plus anciennement speca, de spe, espoir) ne devrait pas être le seul espoir de l’agriculteur ; son amande ou grain (granum, de gerendo, action de porter), n’est pas tout ce qu’il porte. Comment, alors, saurait manquer pour nous la moisson ? Ne me réjouirai-je pas aussi de l’abondance des herbes dont les graines sont le grenier des oiseaux ? Peu importe comparativement que les champs remplissent les granges du fermier. Le loyal agriculteur fera taire son anxiété, de même que les écureuils ne manifestent aucun intérêt dans la question de savoir si les bois oui ou non produiront des châtaignes cette année, et terminera son travail avec la journée, en se désistant de toute prétention sur le produit de ses champs, en sacrifiant en esprit non seulement ses premiers, mais ses derniers fruits aussi.