Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/91

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Pour ma part je me passerais fort bien de poste aux lettres. Je la crois l’agent de fort peu de communications importantes. Pour être exact, je n’ai jamais reçu plus d’une ou deux lettres dans ma vie – je l’ai écrit il y a quelques années – qui valussent la dépense du timbre. La poste à deux sous est, en général, une institution grâce à laquelle on offre sérieusement à un homme pour savoir ce qu’il pense ces deux sous que si souvent on offre en toute sécurité pour rire[1]. Et je suis sûr de n’avoir jamais lu dans un journal aucune nouvelle qui en vaille la peine. Lisons-nous qu’un homme a été volé, ou assassiné, ou tué par accident, qu’une maison a brûlé, un navire fait naufrage, un bateau à vapeur explosé, une vache a été écrasée sur le Western Railroad, un chien enragé tué, ou qu’un vol de sauterelles a fait apparition en hiver, – que point n’est besoin de lire la réédition du fait. Une fois suffit. Du moment que le principe nous est connu, qu’importe une myriade d’exemples et d’applications ? Pour le philosophe, toute nouvelle, comme on l’appelle, est commérage, et ceux qui l’éditent aussi bien que ceux qui la lisent ne sont autres que commères attablées à leur thé. Toutefois sont-ils en nombre, qui se montrent avides de ces commérages. Il y eut telle cohue l’autre jour, paraît-il, à l’un des bureaux de journal pour apprendre les dernières nouvelles arrivées de l’étranger, que plusieurs grandes vitres appartenant à l’établissement furent brisées par la pression – nouvelles qu’avec quelque facilité d’esprit, on pourrait, je le crois sérieusement, écrire douze mois sinon douze années à l’avance, sans trop manquer d’exactitude. Pour ce qui est de l’Espagne, par exemple, si vous savez la façon de faire intervenir Don Carlos et l’Infante, Don Pedro, Séville et Grenade, de temps à autre dans les proportions voulues – il se peut qu’on ait changé un peu les noms depuis que j’ai lu les feuilles – et de servir une course de taureaux lorsque les autres divertissements font défaut, ce sera vrai à la lettre, et nous donnera une aussi bonne idée de l’état exact ou de la ruine des choses en Espagne que les rapports les plus succincts comme les plus lucides sous cette rubrique dans les journaux ; quant à l’Angleterre, la dernière bribe de nouvelle significative qui nous soit venue de ce côté-là est, si l’on peut dire, la Révolution de 1649 ; et, une fois apprise l’histoire de ses récoltes au cours d’une année moyenne, nul besoin d’y revenir, à moins que vos spéculations n’aient un caractère purement pécuniaire. S’il est permis à qui rarement regarde les journaux de porter un jugement, rien de nouveau jamais n’arrive à l’étranger, pas même une Révolution française.

Quelles nouvelles ! que plus important il est de savoir ce que c’est qui

  1. En Angleterre quelqu’un semble-t-il rêveur, qu’il est d’usage de lui demander à brûle-pourpoint, en manière de plaisanterie : « Deux sous pour savoir ce que vous pensez. »