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Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/97

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au Moyen-Âge se contentaient de parler les langues grecque et latine, n’étaient pas qualifiés par l’accident de la naissance pour lire les ouvrages de génie écrits en ces langues ; car ceux-ci n’étaient écrits ni dans ce grec ni dans ce latin qu’ils savaient, mais dans le langage choisi de la littérature. Ils n’avaient pas appris les dialectes plus nobles de la Grèce et de Rome, et il n’était pas jusqu’à la matière elle-même sur laquelle ils étaient écrits qui ne fût pour eux que du papier de rebut ; ce qu’ils prisaient à la place n’était qu’une triste littérature contemporaine. Mais lorsque les diverses nations d’Europe eurent acquis des langages écrits distincts quoique rudes, et bien à elles, suffisant aux besoins de leurs littératures naissantes, alors revécut le premier avoir, et les érudits devinrent capables de distinguer de cette parenté éloignée les trésors de l’antiquité. Ce que la multitude romaine et grecque ne pouvait entendre, quelques érudits, après l’écoulement des siècles, le lurent, et quelques érudits seulement le lisent encore.

Nous avons beau professer de l’admiration pour les mouvements accidentels d’éloquence de l’orateur, les mots écrits les plus nobles se tiennent en général aussi loin derrière les fluctuations de la langue parlée ou aussi loin au-dessus d’elles, que l’est derrière les nuages le firmament avec ses étoiles. sont les étoiles, et peuvent les déchiffrer ceux qui en sont capables. Les astronomes éternellement dissertent à leur propos et les observent. Ce ne sont pas des météores, ou exhalaisons[1], à l’instar de nos colloques journaliers et la vapeur de nos haleines. Ce qu’on appelle éloquence au forum passe en général pour rhétorique dans le cabinet d’études. L’orateur obéit à l’inspiration d’un sujet éphémère, et parle à la masse qu’il a devant lui, à ceux qui peuvent l’entendre ; mais l’écrivain, dont la vie plus égale est le sujet, et que troubleraient l’événement comme la foule qui inspirent l’orateur, parle à l’intelligence et au cœur de l’humanité, à tous ceux qui de n’importe quelle génération peuvent le comprendre.

Rien d’étonnant à ce qu’Alexandre, au cours de ses expéditions, portât l’Iliade avec lui dans une précieuse cassette. Un mot écrit est la plus choisie des reliques. C’est quelque chose de tout de suite plus intime avec nous et plus universel que toute autre œuvre d’art. C’est l’œuvre d’art qui se rapproche le plus de la vie même. Il peut se traduire en toutes langues, et non seulement se lire mais s’exhaler en réalité de toutes lèvres humaines ; – non seulement se représenter sur la toile ou dans le marbre, mais se tailler à même le souffle, oui, de la vie. Le symbole de la pensée d’un homme de l’antiquité devient la parole d’un homme moderne. Deux mille étés n’ont fait qu’im-

  1. En langue anglaise le même mot signifie météore et exhalaison.