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Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/98

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partir aux monuments de la littérature grecque, comme à ses marbres, une touche plus mûre d’or automnal, car ces monuments ont porté leur propre sereine et céleste atmosphère en tous pays afin de se préserver de la corrosion du temps. Les livres sont la fortune thésaurisée du monde et le dû héritage des générations et nations. Les livres, les plus vieux et les meilleurs, ont leur place naturelle et marquée sur les rayons de la moindre chaumière. Ils n’ont rien à plaider pour eux-mêmes, mais tant qu’ils éclaireront et soutiendront le lecteur, son bon sens ne saurait les rejeter. Leurs auteurs sont l’aristocratie naturelle et irrésistible de toute société, et, plus que rois ou empereurs, exercent une influence sur le genre humain. Lorsque le commerçant illettré et il se peut dédaigneux, ayant conquis à force d’initiative et d’industrie le loisir et l’indépendance convoités, se voit admis dans les cercles de l’opulence et du beau monde, il finit inévitablement par se retourner vers ceux encore plus élevés mais toutefois inaccessibles de l’intelligence et du génie, n’est plus sensible qu’à l’imperfection de sa culture ainsi qu’à la vanité et l’insuffisance de toutes ses richesses, et de plus montre son bon sens par les peines qu’il prend en vue d’assurer à ses enfants cette culture intellectuelle dont il sent si vivement la privation ; ainsi devient-il le fondateur d’une famille.

Ceux qui n’ont pas appris à lire les anciens classiques dans la langue où ils furent écrits, doivent avoir une connaissance fort imparfaite de l’histoire de la race humaine ; car il est à remarquer que nulle transcription n’en a jamais été donnée en aucune langue moderne, à moins que notre civilisation elle-même puisse passer par telle transcription. Homère n’a jamais encore été imprimé en anglais, ni Eschyle, ni même Virgile, – œuvres aussi raffinées, aussi solidement faites, et presque aussi belles que le matin lui-même ; car les écrivains venus après, quoi qu’on puisse dire de leur génie, ont rarement, si jamais, égalé la beauté comme le fini laborieux des anciens, et les travaux littéraires héroïques auxquels ils consacraient une vie. Ceux-là seulement parlent de les oublier, qui jamais ne les connurent. Il sera bien assez tôt de les oublier lorsque nous aurons le savoir et le génie qui nous permettront d’y prendre garde et de les apprécier. Le temps, en vérité, sera riche, où ces reliques, que nous appelons les Classiques, et les Écritures encore plus anciennes et plus que classiques, mais encore moins connues, des nations, se seront davantage encore accumulées, où les vaticans seront remplis de Védas et Zend-Avestas et Bibles, d’Homères et Dantes et Shakespeares, et où tous les siècles à venir auront successivement déposé leurs trophées sur le forum de l’univers. Grâce à quelle pile nous pouvons espérer enfin escalader le ciel.

Les œuvres des grands poètes n’ont jamais encore été lues par l’humanité,