Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CXII. Brasidas, voyant s’exécuter les manœuvres dont on était convenu, donna l’ordre, et accourut avec son armée. Les soldats en foule, poussant de grands cris, plongèrent la ville dans la terreur. Les uns se jetaient précipitamment dans la place par les portes ; les autres montaient à l’escalade, à l’aide de poutres triangulaires, destinées à élever des pierres, et qui se trouvaient à côté d’une partie dégradée de la muraille que l’on rétablissait. Brasidas, avec le gros de son armée, se porta dans l’instant aux endroits les plus élevés de la place, voulant la prendre par le haut, pour qu’elle ne lui fût pas disputée. Le reste des troupes se répandit dans toute la ville.

CXIII. Pendant qu’on la prenait, la multitude s’agitait sans rien savoir ; mais ceux qui étaient du secret, et à qui plaisait la révolution, se mêlèrent à l’instant avec les étrangers, qui venaient d’entrer dans la place. Les Athéniens, dont cinquante hoplites couchaient dans le marché ; apprirent ce qui se passait ; quelques-uns, en petit nombre, périrent en combattant ; les autres se sauvèrent ou à pied ou sur deux vaisseaux qui se trouvaient de garde, et se réfugièrent au fort de Lécythe qui tenait pour eux : c’était une pointe de la ville, dont ils s’étaient emparés ; elle était située sur le bord de la mer, et resserrée sur un isthme fort étroit. Ceux de Toroné qui étaient de leur faction y cherchèrent un asile avec eux.

CXIV. Dès qu’il fit jour, et que Brasidas fut assuré de sa conquête, il fit déclarer aux citoyens de Toroné, qui avaient pris la fuite avec les Athéniens, qu’ils étaient maîtres de rentrer dans leurs propriétés, et de jouir sans crainte de leurs droits. Il envoya aussi un héraut aux Athéniens, leur ordonner de sortir de Lécythe sur la foi publique, en prenant avec eux leurs effets, parce que cette place appartenait aux Chalcidiens. Ils répondirent qu’ils ne la quitteraient pas, et demandèrent un armistice d’un jour pour enlever leurs morts. Brasidas leur en donna deux, pendant lesquels on se fortifia de part et d’autre. Il assembla les habitans, et leur tint à peu près les mêmes discours qu’à ceux d’Acanthe : qu’il n’était pas juste que ceux qui l’avaient favorisé dans sa conquête de la ville, fussent regardés comme de mauvais citoyens et des traîtres ; que leur dessein n’avait été d’asservir personne ; qu’ils ne s’étaient pas laissé gagner par argent, et qu’ils n’avaient agi que pour le bien et la liberté de la patrie ; que ceux qui n’avaient point eu de part à son entreprise ne devaient pas croire non plus qu’ils ne jouiraient pas des mêmes avantages ; qu’il n’était venu pour faire tort ni à la ville ni à aucun particulier ; qu’il avait même, dans cet esprit, fait déclarer à ceux d’entre eux qui s’étaient réfugiés auprès des Athéniens, que, malgré leur attachement à ce peuple, il n’en aurait pas pour eux moins d’estime ; qu’il était sûr qu’après avoir connu par expérience les Lacédémoniens, ils verraient bien qu’ils n’en devaient pas attendre moins de bienveillance que de leurs anciens alliés, et qu’au contraire ils en éprouveraient bien davantage, parce qu’ils auraient affaire à des hommes plus justes ; que si, pour le moment, ils ressentaient de la crainte, c’était faute de les connaître. Il leur ordonna de se disposer tous à prendre les sentimens d’alliés fidèles de Lacédémone, ajoutant qu’à l’avenir, les fautes qu’ils pourraient commettre leur seraient imputées ; mais que les Lacédémoniens ne se regardaient comme offensés par rien de ce qu’ils avaient pu faire auparavant ; que c’était eux-mêmes qui l’avaient été par une puissance supérieure, et qu’il les trouvait excusables de s’être opposés à ses desseins.

CXV. En leur tenant de tels discours, il leur rendit le courage. Quand l’armistice avec les Athéniens fut expiré, il attaqua Lécythe. Les assiégés n’avaient, pour se défendre, que de mauvaises murailles et des maisons garnies de créneaux. Cependant le premier jour ils repoussèrent les assiégeans. Le lendemain ceux-ci firent approcher une machine destinée à lancer des flammes sur les fortifications de bois : eux-mêmes s’avancèrent du côté de la place, où ils avaient dessein de l’appliquer, et qui était le plus faible. Alors les Athéniens élevèrent une tour de bois au-dessus d’un bâtiment, et y apportèrent une grande quantité d’amphores pleines d’eau, des jarres et de grosses pierres : des hommes y montèrent en grand nombre. Le poids était trop fort pour l’édifice qui le supportait : il croula subitement à grand bruit. Ceux des Athéniens qui étaient assez près pour être témoins de l’accident en furent plus consternés qu’effrayés ; mais ceux qui étaient loin, et surtout les soldats qui se trouvaient aux postes les plus reculés,