Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/174

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voya une députation à Perdiccas pour le mander avec son armée, en conséquence de son traité avec Athènes ; et une autre dans la Thrace, à Pollès, roi des Odomantes, qui devait soudoyer et amener la plupart des Thraces. Lui-même se tint en repos à Éion. Ces circonstances étaient connues de Brasidas, qui vint camper en face des Athéniens à Cerdylium. C’est une place des Argiliens, sur une hauteur, au-delà du fleuve, et à peu de distance d’Amphipolis. De là il découvrait tout ; il avait dans l’idée que Cléon quitterait sa position pour faire approcher son armée de la ville, et il ne pouvait manquer de l’apercevoir. Il pensait que, par mépris pour le peu de troupes qu’il avait, Cléon n’hésiterait pas à monter avec les seules forces dont il disposait en ce moment. Il se préparait donc à une action, et manda les Thraces soudoyés, au nombre de quinze cents, et tous les Édoniens, tant peltastes que cavalerie : il avait mille peltastes de Myrcinie et de Chalcidique, sans compter ceux qui étaient à Amphipolis. Ses hoplites montaient en tout à environ deux mille, et sa cavalerie grecque était de trois cents hommes. De ces troupes, il n’avait à Cerdylium que quinze cents hommes ; le reste était à Amphipolis, sous les ordres de Cléaridas.

VII. Jusque-là, Cléon se tenait en repos ; mais il fut enfin obligé de faire ce qu’attendait Brasidas ; car ses soldats, ennuyés de leur inaction, se répandirent en propos sur son commandement ; ils considéraient à combien d’expérience et de courage serait opposé tant d’ignorance et de lâcheté, et se rappelaient avec quelle répugnance ils l’avaient suivi. Cléon eut connaissance de ces murmures, et ne voulant pas lasser la patience de ses troupes en les retenant trop longtemps à la même place, il prit le parti de décamper. La manœuvre dont il fit usage fut la même qui lui avait réussi à Pylos, et dont il attribuait le succès à sa sagesse. Il comptait bien que personne ne viendrait le combattre, et se vantait de ne gagner un terrain plus élevé que pour avoir le spectacle du pays. S’il attendait du renfort, ce n’était pas, suivant lui, qu’il en eût besoin pour s’assurer la victoire, s’il était obligé d’en venir aux mains, mais pour enceindre la place et la prendre de vive force. Arrivé sur une colline forte par elle-même, il y établit son camp en face de l’armée d’Amphipolis ; de là il contemplait le lac formé par le Strymon, et l’assiette de la ville du côté de la Thrace. Il croyait pouvoir, à son gré, se retirer sans combat. Personne ne paraissait sur les remparts, ni ne se montrait hors des portes ; toutes étaient fermées ; et il se reprochait, comme une faute, de n’avoir pas amené les machines, car il aurait emporté la place, dans l’abandon où elle se trouvait.

VIII. Dès que Brasidas avait vu les Athéniens se mettre en mouvement, il était descendu de Cerdylium et était entré dans Amphipolis. Il ne voulut ni faire de sortie ni se montrer en ordre de bataille devant les Athéniens, se défiant de ses forces, et les croyant trop inférieures, non par le nombre, elles étaient égales, mais par la réputation. En effet, ce qui composait l’armée ennemie, étaient des troupes purement athéniennes, et les meilleures de Lemnos et d’Imbros ; mais il se préparait à les attaquer par la ruse. S’il leur eût laissé voir le nombre de ses troupes et les armes dont le besoin les obligeait de se contenter, il se serait cru moins assuré de la victoire, qu’en ne les montrant point avant le combat, et ne provoquant pas le mépris par l’état où elles se trouvaient. Il prit donc cent cinquante hoplites choisis, et laissa le reste à Cléaridas ; son dessein était d’attaquer brusquement les Athéniens avant leur départ, n’espérant plus, s’il leur arrivait une fois des secours, trouver une semblable occasion de les combattre, réduits à leurs seules forces. Il rassembla ses soldats pour les encourager et les instruire de son projet, et il parla ainsi :

IX. « De quelle contrée nous venons ici, braves Péloponnésiens, que c’est par son courage qu’elle est toujours restée libre, que vous êtes Doriens et que ceux que vous allez combattre sont de ces Ioniens que vous avez coutume de vaincre, c’est ce qu’il suffit de vous rappeler en peu de mots. Mais je vais vous communiquer mon plan d’attaque, pour que vous ne vous croyiez pas trop faibles, et que vous ne tombiez pas dans le découragement, en voyant que vous êtes en petit nombre, et que je n’ai pas pris toutes nos forces avec moi. C’est par mépris pour nous, sans doute, et dans l’espérance que personne ne sortirait pour les combattre, que les Athéniens ont osé monter à l’endroit qu’ils occupent, et livrés maintenant en désordre au spectacle qui les frappe, ils s’abandonnent à la