Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/250

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on se sépara. Il n’y eut pas de poursuite, et il ne se fit pas de prisonniers. Les Corinthiens, qui s’étaient battus près de la côte, n’eurent pas de peine à se sauver, et, du côté des Athéniens, on ne perdit pas de vaisseaux.

Dès que ceux-ci furent rentrés à Naupacte, les Corinthiens dressèrent un trophée, comme si, pour avoir mis plus de vaisseaux hors de combat, ils eussent remporté la victoire. Ils se regardaient comme victorieux parce que les autres ne se regardaient pas comme vainqueurs ; car les Corinthiens croyaient triompher s’ils n’éprouvaient pas une entière défaite, et les Athéniens se croyaient vaincus s’ils ne remportaient pas une victoire décidée, Mais les Pélqponnésiens se retirèrent, leur armée se dispersa, et les Athéniens alors, en qualité de vainqueurs, élevèrent un trophée dans l’Achaïe, à la distance d’environ vingt stades d’Érinée, où la flotte de Corinthe avait mis à l’ancre. Ainsi finit le combat naval.

XXXV. Cependant les Thuriens, avec sept cents hoplites, et trois cents hommes armés de javelots, étaient prêts à joindre leurs armes à celles de Démosthène et d’Eurymédon. Ces généraux donnèrent ordre à la flotte de gagner les côtes de Crotone. Eux-mêmes, après avoir fait le dénombrement de leurs troupes de terre sur les bords du Sybaris, les conduisirent par les campagnes de Thurium. Ils étaient parvenus au fleuve Hylias, quand les Crotoniates leur firent annoncer qu’ils ne permettraient point à l’armée de traverser leur pays. Les Athéniens descendirent vers la mer, et passèrent la nuit à l’endroit où s’y jette le fleuve. Leur flotte y vint au-devant d’eux. Ils la montèrent le lendemain, naviguèrent de côte en côte, et prirent terre devant toutes les villes, excepté celle de Locres. Ils arrivèrent enfin à Pétra, dans le pays de Rhégium.

XXXVI. Cependant les Syracusains apprirent qu’ils étaient en mer, et résolurent de tenter encore une fois le hasard sur leur flotte et avec leur armée de terre[1]. Ils l’avaient rassemblée à dessein de prévenir l’arrivée du renfort. Le dernier combat naval leur avait fait connaître des avantages qu’ils travaillèrent à se procurer pour cette nouvelle action. Ils rendirent plus courtes et plus fortes les proues de leurs vaisseaux, y fixèrent de plus forts éperons et adaptèrent aux deux bords, pour les soutenir, des arcs-boutans de six coudées en dedans et en dehors ; c’était ainsi que, pour le combat de Naupacte, les Corinthiens avaient ajusté les proues de leurs batimens. Les Syracusains se promettaient l’avantage sur les navires des Athéniens qui n’étaient pas renforcés de même, mais qui étaient faibles de la proue, parce que ce n’était pas de l’avant, mais des bords qu’ils attaquaient, en se portant autour des vaisseaux ennemis ; ils croyaient aussi qu’il leur serait favorable de livrer le combat dans le grand port, où l’espace serait étroit pour un grand nombre de vaisseaux ; qu’en attaquant de proue, ils briseraient l’avant des vaisseaux ennemis, trop faibles et trop légers dans cette partie pour résister à des proues fermes et solides ; que, dans un espace resserré, les Athéniens ne pourraient ni faire le tour des vaisseaux, ni s’ouvrir un passage à travers la flotte, et que c’était dans cette manœuvre qu’ils mettaient le plus de confiance ; qu’autant qu’il leur serait possible, ils les empêcheraient de passer entre leurs bâtimens, et que le peu d’espace s’opposerait à ce qu’ils en fissent le tour ; qu’ils emploieraient surtout la manœuvre qu’on avait d’abord attribuée à l’inhabileté de leurs pilotes, celle de donner de la proue ; et qu’elle leur procurerait la supériorité ; que les Athéniens poussés ne pourraient reculer que vers la côte, ce qui ne leur laisserait que peu d’espace, puisque leur camp n’en occupait qu’une faible étendue : qu’eux-mêmes étaient maitres de tout le reste du port, et que les ennemis, dès qu’on pourrait les forcer, seraient mis à l’étroit, et se troubleraient les uns les autres, en se jetant tous ensemble vers la même partie du rivage ; qu’ils ne pourraient gagner une étendue de mer suffisante, tandis qu’eux-mêmes auraient une mer libre pour attaquer et reculer à leur gré ; qu’enfin les ennemis auraient contre eux Plemmyrium, et contre eux aussi le peu d’ouverture du port. Ce qui nuisit en effet le plus aux Athéniens, dans toutes les actions navales, ce fut de n’avoir pas, pour reculer, toute l’étendue du port, comme les Syracusains.

XXXVII. Telles furent les nouvelles idées que les Syracusains ajoutèrent à leurs premières con-

  1. Dix-neuvième année de la guerre du Péloponnèse quatrième année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cents treize ans avant l’ère vulgaire. Après le 10 juillet.