Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/276

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pays voisins. Ils remportèrent encore une autre victoire à Phanis, et une troisième à Leuconium. Les guerriers de Chio ne se montrèrent plus en campagne, et les vainqueurs ravagèrent ce pays si bien cultivé, et qui n’avait jamais souffert depuis la guerre des Mèdes. Car de tous les peuples que je connaisse, ceux de Chio sont les seuls, après les Lacédémonicns, qui aient uni la sagesse à la bonne fortune, et plus leur république devenait florissante, plus ils avaient le bon esprit de pourvoir à sa sûreté. On peut trouver que, dans la défection actuelle, ils n’avaient pas assez pris de mesures pour se mettre au-dessus de la crainte ; mais ils n’avaient osé cependant se livrer à l’insurrection qu’en partageant le péril avec un nombre respectable de braves alliés, et ils savaient que les Athéniens ne pouvaient eux-mêmes, après leur désastre de Sicile, nier que leurs affaires ne fussent dans un état déplorable. S’ils ont mal jugé des vicissitudes inattendues des choses humaines, ils ont partagé cette erreur avec beaucoup d’autres, qui croyaient que la puissance d’Athènes allait être bientôt renversée. Renfermés enfin du côté de la mer, et voyant leur pays dévasté, plusieurs résolurent de remettre leur ville aux Athéniens. Les principaux de la république furent instruits de ce projet, et se tinrent eux-mêmes en repos ; mais ils appelèrent d’Érythres Astyochus avec les quatre vaisseaux dont il disposait, et se consultèrent avec lui sur les moyens les plus doux d’apaiser le soulèvement, soit en se faisant donner des otages, soit en prenant quelque autre parti. Voilà quelle était la situation des habitans de Chio.

XXV. A la fin du même été[1], passèrent d’Athènes à Samos quinze cents hoplites d’Athènes, mille d’Argos (car les Athéniens avaient fourni l’armure complète à cinq cents Argiens de troupes légères), et mille des alliés. Ils partirent sur quarante-huit vaisseaux, dont plusieurs étaient destinés à porter des troupes. Phrynicus, Onomaclès et Scirônide les commandaient : ils descendirent à Milet et y campèrent. Les Milésiens firent une sortie ; eux-mêmes formaient le nombre de huit cents hoplites, et ils avaient les Péloponnésiens venus avec Chalcidée, les troupes auxiliaires de Tissapherne, et Tissapherne en personne avec sa cavalerie. Ils livrèrent bataille aux Athéniens et aux alliés. L’action fut entamée par l’aile où se trouvaient les Argiens. Ils s’avancèrent sans ordre, par mépris pour des Ioniens, qui ne devaient pas même les attendre, furent vaincus par les Milésiens, et ne perdirent guère moins de trois cents hommes. Les Athéniens, de leur côté, battirent d’abord les troupes du Péloponnèse, et repoussèrent ensuite les Barbares et tout le reste de la multitude. Ils n’eurent point affaire aux Milésiens. Ceux-ci, après avoir mis les Argiens en fuite, trouvèrent à leur retour que le reste de leur armée était battu, et rentrèrent dans la ville. Les Athéniens victorieux assirent leur camp sous les murs de la place. Des deux côtés, en cette bataille, ce furent les Ioniens qui eurent l’avantage sur les Doriens ; car les Athéniens battirent les Péloponnésiens qui leur étaient opposés, et les Milésiens défirent les troupes d’Argos. Les vainqueurs dressèrent un trophée, et se préparèrent à investir la place d’une muraille. Le terrain, qui était resserré comme un isthme, leur facilitait ce travail. Ils étaient persuadés que s’ils pouvaient réduire Milet, le reste se soumettrait aisément.

XXVI. Cependant, à la fin du jour, ils reçurent la nouvelle que la flotte de cinquante-cinq vaisseaux du Péloponnèse et de Sicile était sur le point de paraître. C’était Hermocrate de Syracuse qui avait surtout pressé les Siciliens de contribuer à détruire la puissance d’Athènes. Vingt vaisseaux étaient venus de Syracuse et deux de Sélinonte : ceux qu’on avait appareillés dans le Péloponnèse étaient prêts, et Théramène de Lacédémone avait reçu l’ordre de mener ces deux flottes à Astyochus. Elles relâchèrent d’abord à Êléum, île située devant Milet. Sur la nouvelle qu’elles y reçurent que les Athéniens étaient à Milet, elles gagnèrent d’abord le golfe Iasique, pour se mieux informer de ce qui se passait dans cette ville. Alcibiade arriva à cheval dans la campagne milésienne, à Tichiusse, où elles avaient pris leur campement après être entrées dans le golfe. Ce fut alors qu’elles apprirent les détails de l’action. Alcibiade s’y était trouvé et avait combattu avec les Milésiens et Tissapherne. Il exhorta les troupes, si elles ne voulaient pas ruiner entièrement les

  1. Vingtième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cent douze ans avant l’ère vulgaire. Après le 3 septembre