Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/60

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laient qu’ils agissent aussitôt, et se jetassent sur les maisons de leurs ennemis ; mais ils n’y consentirent pas, et se rangèrent en armes sur la place. Leur dessein était de s’y prendre avec douceur, par le ministère d’un héraut, et d’amener les habitans à traiter à l’amiable. Le héraut publia que ceux qui voudraient entrer dans la ligue des Bœotiens, suivant les instituts du pays, prissent les armes, et se joignissent à eux. Ils espéraient que la ville se rendrait aisément à de telles propositions.

III. Quand ceux de Platée apprirent que les Thébains étaient dans leurs murs, et s’étaient emparés inopinément de la ville, ils les crurent en bien plus grand nombre qu’ils n’étaient en effet ; ils n’en pouvaient juger pendant la nuit. Ils consentirent donc à traiter, reçurent les propositions qu’on leur faisait, et restèrent d’autant plus volontiers en repos, que personne n’éprouvait aucun mauvais traitement. Ils étaient dans ces dispositions, quand ils s’aperçurent que les Thébains n’avaient que peu de monde, et ils pensèrent qu’en les attaquant, ils auraient une victoire aisée : car le peuple n’était pas dans l’intention d’abandonner l’alliance d’Athènes. Ils résolurent donc d’en venir aux mains, et pour se concerter entre eux, sans être découverts en passant dans les rues, ils percèrent les murs mitoyens de leurs maisons. Des charrettes dételées furent placées dans les rues pour servir de barricades. Ils firent toutes les dispositions que chacun jugea nécessaires dans les circonstances, tirèrent parti de tout ce qu’ils purent se procurer, profitèrent du reste de la nuit, et à l’approche de l’aurore, et firent une sortie sur les Thébains. Ils auraient craint de les trouver plus hardis à la clarté du jour, et que la défense ne fût égale à l’attaque ; au lieu que dans les ténèbres, on devait inspirer plus de terreur à des ennemis qui avaient le désavantage de ne pas connaître la ville. Ils attaquèrent donc sur-le-champ, et se hâtèrent d’en venir aux mains.

IV. Dès que les Thébains reconnurent qu’ils étaient trompés, ils se formèrent en peloton, et repoussèrent de tous côtés ceux qui les attaquaient. Ils les firent reculer deux ou trois fois, mais quand les Platéens se précipitèrent sur eux à grand bruit, quand femmes et valets, avec des cris et des hurlemens, lancèrent, du haut des maisons, des tuiles et des pierres, quand une pluie abondante vint à tomber au milieu des ténèbres, ils furent saisis de terreur. On était alors au déclin de la lune. Mis en fuite, ils couraient par la ville, dans l’obscurité, dans la fange, la plupart ignorant les passages qui auraient pu les sauver, et poursuivis par des ennemis qui les connaissaient tous, pour leur intercepter toute retraite. La plupart périrent. Un Platéen ferma la porte par laquelle ils étaient entrés, et qui seule était ouverte. Il se servit, au lieu de verrou, d’un fer de lance qu’il fit entrer dans la gâche. Ainsi, de ce côté même, il ne restait plus d’issue. Poursuivis dans les rues, quelques-uns gravirent le mur, se précipitèrent en dehors, et se tuèrent presque tous. D’autres gagnèrent une porte abandonnée, trouvèrent une femme qui leur prêta une hache, brisèrent la barre, et n’échappèrent qu’en petit nombre : car on s’en aperçut aussitôt. D’autres se dispersèrent, et furent égorgés. Le plus grand nombre, composé de tous ceux qui étaient restés en peloton, donnèrent dans un grand bâtiment qui tenait au mur : par hasard la porte était ouverte ; ils la prirent pour une de celles de la ville, et crurent qu’elle ouvrait une issue dans la campagne. Les Platéens les voyant pris, délibérèrent s’ils ne les brûleraient pas tous, en mettant le feu à l’édifice, ou s’ils prendraient contre eux quelque autre parti. Enfin ces malheureux et tout ce qui restait de Thébains dans la ville se rendirent à discrétion, eux et leurs armes. Tel fut le succès de leur entreprise sur Platée.

V. D’autres Thébains devaient, avant la fin de la nuit, se présenter en corps d’armée pour soutenir au besoin ceux qui étaient entrés : ils reçurent en chemin la nouvelle de ce qui s’était passé, et s’avancèrent au secours. Platée est à quatre-vingt-dix stades de Thèbes[1]. L’orage qui survint pendant la nuit retarda leur marche ; le fleuve Asopus se gonfla, et devint difficile à traverser. Ils marchèrent par la pluie, ne passèrent le fleuve qu’avec peine, et arrivèrent trop tard : leurs hommes étaient ou tués ou pris. À la nouvelle de ce désastre, ils dressèrent des em-

  1. Le stade olympique était de quatre-vingt-quatorze toises et demie. Les quatre-vingt-dix stades faisaient un peu plus de trois de nos lieues de deux milles cinq cents toises. Les anciens avaient un autre stade plus court ; il n’était que de soixante-seize toises et demie. Dix de ces stades faisaient un mille. Ils avaient aussi le petit stade, que d’Anville évalue à cinquante-sept toises.