Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/101

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nait les créneaux et la garde se faisait dans les tours qui étaient couvertes et peu distantes les unes des autres. Tel était le mur qui formait la circonvallation de Platée.

XXII. Quand les assiégés eurent fait leurs apprêts, ils profitèrent, pour sortir, d’une nuit pluvieuse, que la lune n’éclairait pas et dans laquelle il faisait un grand vent[1]. Les auteurs de l’entreprise en furent les commandans. Ils franchirent d’abord le fossé qui les entourait, et parvinrent au mur des ennemis sans être découverts par les sentinelles. Elles ne pouvaient, dans l’obscurité, les apercevoir d’avance, ni entendre le bruit de leur marche qui était couvert par celui du vent. D’ailleurs les Platéens s’avançaient à une grande distance les uns des autres, pour n’être pas trahis par le choc de leurs armes. Ils s’étaient équipés lestement et n’avaient de chaussure qu’au pied gauche, pour n’être pas exposés à glisser dans la fange[2]. Ils arrivèrent aux créneaux qui étaient dans les intervalles des tours, les sachant abandonnés, et ceux qui portaient les échelles les appliquèrent à la muraille. Ensuite montèrent douze hommes armés à la légère, n’ayant que le poignard et la cuirasse. Ils étaient conduits par Amméas, fils de Corœbus, qui monta le premier. Après lui montèrent ses douze hommes, six de chaque côté des tours. Ensuite vinrent d’autres hommes, également armés à la légère et portant des javelots ; derrière eux en étaient d’autres portant les boucliers, pour que les premiers eussent moins de peine à monter, et ils devaient les leur donner quand on en viendrait aux mains. Déjà le plus grand nombre étaient en haut, quand les gardes des tours entendirent quelque chose. C’était un Platéen, qui, en voulant s’accrocher à une brique, l’avait fait tomber du haut des créneaux ; elle fit du bruit dans sa chute, et aussitôt fut jeté le cri d’alarme. Toutes les troupes accoururent à la muraille sans savoir, par la pluie et dans les ténèbres, quel pouvait être le danger qui les menaçait. En même temps ceux des Platéens qui étaient restés dans la ville sortirent ; et, pour détourner l’attention de dessus leurs gens, ils firent une fausse attaque à un endroit du côté opposé à celui où montaient ces derniers. Il se faisait beaucoup de mouvemens, mais à la même place, personne n’osant quitter son poste pour donner ailleurs du secours. On ne savait que penser de ce qui était arrivé. Au cri d’alarme, trois cents hommes, dont l’ordre était de porter du secours au besoin, sortirent du retranchement. On leva des torches du côté de Thèbes pour y faire connaître qu’il était attaqué ; mais les Platéens qui étaient dans la ville en levèrent aussi de leur côté en grand nombre. Ils les avaient tenues prêtes d’avance pour que les ennemis n’entendant rien aux signaux, et imaginant toute autre chose que ce qui était arrivé, ne donnassent pas de secours avant que les hommes qui étaient sortis de Platée eussent pu s’évader et se mettre en sûreté.

XXIII. Les premiers qui parvinrent au haut du mur se rendirent maîtres des deux tours, en égorgèrent la garde, et en défendirent le passage, pour que personne ne pût les traverser et s’avancer contre eux. Ils y appliquèrent des échelles de dessus le mur, et y firent monter un grand nombre des leurs. Les uns, du haut et du bas des tours, tiraient sur les ennemis qui voulaient s’avancer et les tenaient eu respect ; en même temps les autres, en plus grand nombre, posaient beaucoup d’échelles à la fois, et renversant les créneaux, montaient par l’intervalle des tours. À mesure qu’ils l’avaient franchi ils s’arrêtaient sur le bord du fossé, d’où ils accablaient de flèches et de javelots ceux qui osaient s’opposer à leur passage. Quand tous eurent traversé, ce fut avec peine que les derniers qui descendirent des tours gagnèrent le fossé : les trois cents se portèrent en même temps contre eux avec des flambeaux. Mais les Platéens qui se trouvaient dans l’obscurité avaient l’avantage de les mieux voir ; ils se tenaient sur le bord du fossé, et perçaient de flèches et de javelots leurs ennemis, choisissant les parties du corps que les armes laissaient à nu, tandis que la lueur des flambeaux empêchaient de les voir eux-mêmes, plongés comme ils l’étaient dans les ténèbres. Ainsi les Platéens, jusqu’aux derniers, eurent le temps de franchir le fossé, mais avec peine et non sans beaucoup d’obstacles, car il s’y était formé de la glace, mais trop faible pour porter, et manquant de consistance, comme il arrive quand le vent souffle plutôt du levant que du

  1. Après le 25 janvier ou le 23 février.
  2. Chez les anciens, les archers avaient toujours un pied nu, pour être moins exposés à glisser dans les terrains fangeux.