Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/100

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par jour deux drachmes[1] chacun, l’une pour lui-même, l’autre pour son valet. Ils avaient été trois mille au commencement du siège, et jamais il n’y en eut moins à le continuer. Il y en avait eu seize cents avec Phormion qui se retirèrent avant que la place fût rendue. Tous les vaisseaux recevaient la même paye. Telles furent les dépenses qui se firent d’abord, et le nombre des vaisseaux qui furent équipés.

XVIII. Les Lacédémoniens étaient sur l’isthme quand les Mityléniens, conjointement avec les troupes qui étaient venues à leur secours. firent du côté de la terre des tentatives contre Méthymne, comptant que cette place leur serait livrée par trahison. Ils l’attaquèrent ; mais leurs espérances ayant été trompées, ils allèrent à Antisse, à Pyrrha, à Éresse, mirent ces villes en bon état, en renforcèrent les murailles et se retirèrent promptement. Après leur retraite, ceux de Méthymne entrèrent aussi en campagne et attaquèrent Antisse ; mais il vint contre eux quelques secours, et ils furent défaits par les gens d’Antisse et leurs auxiliaires. Il en périt beaucoup ; le reste fit une retraite précipitée.

Les Athéniens furent instruits de cet événement ; ils surent que les Mityléniens étaient maîtres du pays, et eux-mêmes n’ayant pas de ce côté des forces capables de les contenir, ils firent partir, au commencement de l’automne[2], Pachès, fils d’Épicure, en qualité de général avec mille hoplites de leur nation. C’était les gens de guerre qui faisaient eux-mêmes la manœuvre des vaisseaux. Ils arrivèrent et investirent Mitylène d’une simple muraille. Ils construisirent aussi des forteresses en quelques endroits faciles à défendre, Mitylène fut alors puissamment contenue par terre et par mer, et l’hiver commença.

XIX. Le besoin d’argent pour ce siège obligea les Athéniens à se mettre eux-mêmes à contribution pour la première fois, et ils fournirent deux cents talens[3]. Ils envoyèrent aussi douze vaisseaux aux ordres de Lysiclès et de quatre autres commandans, pour recueillir les tributs des alliés. Lysiclès, après avoir fait des levées en différens endroits, continuait sa tournée ; il passait de Myonte par la plaine de Méandre, dans la Carie, pour gagner le monticule Sandius, quand, attaqué par les Cariens et les Anæïtes, il périt avec une grande partie de l’armée.

XX. Le même hiver[4], les Platéens, toujours assiégés par les armées du Péloponnèse et de la Bœotie, tourmentés par la disette, sans espérance de secours du côté d’Athènes, et dénués de tout autre moyen de salut, formèrent d’abord, ainsi que les Athéniens qui étaient assiégés avec eux, le dessein de sortir tous ensemble, et de gravir le mur des ennemis, s’ils pouvaient parvenir à le forcer. Le devin Thæénète, fils de Timide, et Eupolpide, fils de Daïmaque, l’un des commandans, étaient les auteurs du projet. La moitié des troupes trouva dans la suite qu’il était trop dangereux et marqua de la répugnance à le partager. Ceux qui persistèrent dans leur bonne volonté étaient à peu près au nombre de deux cent vingt. Voici le moyen qu’ils imaginèrent. Ils firent des échelles de la hauteur des murs, mesurant cette hauteur par les jointures des briques : on avait négligé de les enduire à une partie de la muraille qui regardait de leur côté. Plusieurs comptaient à la fois ces jointures ; quelques-uns devaient se tromper et la plupart rencontrer juste : d’ailleurs on recommençait plusieurs fois le calcul ; et, comme on n’était pas fort loin, on voyait aisément la partie du mur où l’on projetait d’appliquer les échelles. Ce fut ainsi qu’on prit la mesure de ces échelles, en la déduisant de l’épaisseur des briques.

XXI. Passons à la manière dont était construit le mur des Péloponnésiens. Il formait deux enceintes : l’une du côté de Platée, l’autre en dehors, pour veiller sur les secours qui pourraient venir d’Athènes. Ces deux enceintes laissaient entre elles un espace de seize pieds, dans lequel étaient bâties pour la garnison des pièces distinctes mais contiguës, et le tout offrait l’apparence d’un mur épais, avec des crénaux des deux côtés. De dix en dix créneaux s’élevaient de grandes tours aussi épaisses que le mur. Comme elles étaient appuyées à la partie intérieure et extérieure de la muraille, il n’y avait point de passage le long des tours, mais il fallait les traverser par le milieu. La nuit, quand le temps était froid et pluvieux, on abandon-

  1. Les deux drachmes valaient trente-six de nos sous.
  2. Après le 29 septembre.
  3. Un million quatre-vingt mille livres.
  4. Quatrième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-huitième olympiade, quatre cent vingt-huit ans avant l’ère vulgaire.