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Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/125

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pourrait, avec le secours des alliés de l’Épire et de l’Étolie, passer par terre dans la Bœotie par le pays des Locriens-Ozoles, et tirant vers Cytinium dans la Doride, qui a le Parnasse à droite, entrer chez les Phocéens ; que ceux-ci, par leurs anciennes liaisons avec Athènes, ne refuseraient probablement pas de se joindre à lui, et que du moins ils pourraient y être forcés. La Bœtie est là limitrophe de la Phocide. Il mit donc en mer à Leucade avec toute son armée, et suivit la côte pour gagner Sollium. Ce fut au grand déplaisir des Acarnanes qu’il exécuta ce projet : il le leur avait communiqué ; mais ils refusèrent d’y prendre part, piqués de ce qu’il ne voulait pas investir Leucade. Ce fut donc avec le reste de l’armée, Céphaléniens, Messéniens, Zacynthiens, et trois cents Athéniens servans sur sa flotte, qu’il alla porter la guerre chez les Étoliens. Les quinze vaisseaux de Corcyre s’étaient retirés. Il partit d’Ænéon dans la Locride : ces Locriens-Ozoles étaient alliés d’Athènes, et devaient se joindre avec toutes leurs forces aux Athéniens dans l’intérieur des terres. On pouvait s’attendre à tirer un grand secours de leur alliance, parce que, voisins des Étoliens, ils ont les mêmes armes, et connaissent leur pays et leur manière de combattre.

XCVII. Il passa la nuit avec son armée dans l’enceinte sacrée de Jupiter Néméen. C’est là qu’on prétend que le poète Hésiode fut tué par les gens du pays ; il lui avait été prédit par un oracle qu’il mourrait à Némée. On partit pour l’Étolie au lever de l’aurore. Le premier jour, on prit Potidanie, le second Crocylium, et le troisième Tichium. Démosthène s’y arrêta, et envoya le butin qu’il avait fait à Eupolium en Locride ; car, après avoir réduit le reste, il avait dessein, si les Ophioniens ne consentaient pas à se rendre, de retourner à Naupacte, et de revenir les combattre. Mais les Étoliens avaient été instruits de son projet d’invasion, dès qu’il l’avait conçu, et quand son armée entra dans le pays, ils vinrent de toutes parts à sa rencontre en nombre formidable. Les Bomiens même et les Calliens, eux qui demeurent à l’extrémité de l’Ophionie, près du golfe Maliaque, arrivèrent au secours de la cause commune.

XCVII. Les Messéniens continuaient de donner à Démosthène les mêmes conseils qu’auparavant ; ils lui soutenaient que la réduction des Étoliens serait facile, et l’engageaient à se jeter au plus tôt sur les bourgades, à tâcher de prendre toutes celles qui se trouveraient sous sa main, et à ne pas s’arrêter qu’ils ne vinssent à sa rencontre avec toutes leurs forces réunies. Il les crut, osa se fier à la fortune, parce qu’elle ne lui avait pas encore été contraire. Il n’attendit pas même les Locriens qui devaient le joindre, et dont les secours lui eussent été fort utiles, car on avait surtout besoin de gens de trait armés à la légère. Il s’avança jusqu’à Egitium. qu’il enleva d’emblée et sans résistance. Les habitans avaient pris la fuite, et s’étaient retirés sur les hauteurs qui dominent la ville. Elle est bâtie sur un terrain élevé, à la distance de quatre-vingts stades[1] au plus de la mer. Mais déjà les Étoliens étaient arrivés au secours : ils fondirent de toutes parts du haut des montagnes sur les Athéniens et leurs alliés, les accablant de traits, reculant quand ils s’avançaient, les pressant quand ils cédaient : sorte de combat qui consistait surtout en de brusques attaques et en des retraites précipitées ; et dans les unes ni dans les autres les Athéniens n’avaient l’avantage.

XCVIII. Cependant, tant que leurs archers eurent des flèches et furent en état de s’en servir, ils résistèrent ; car les Étoliens, légèrement armés, étaient contenus par les traits qu’on leur lançait. Mais, quand le commandant des archers eut été tué, ses gens se dispersèrent, et les Athéniens, accablés d’un travail continu, furent bientôt rendus de fatigue. Les Étoliens ne cessaient de les presser, de tirer sur eux ; ils furent obligés de fuir ; mais ils perdirent leur guide, Chromon de Messène, qui fut tué : égarés, ils tombaient dans des ravins impraticables, ou s’engageaient dans des sentiers qui leur étaient inconnus, et ils étaient massacrés. Les Étoliens continuaient de tirer. Légers et lestement vêtus, ils en atteignaient beaucoup à la course. Le plus grand nombre se trompa de chemin, et s’engagea dans une forêt qui n’était pas frayée : les ennemis apportèrent du feu et l’incendièrent. Il n’était pas de moyen de fuir que les Athéniens ne tentassent, point de genres de mort dont ils ne périssent. A peine ceux qui se sauvèrent purent-ils gagner Œnéon en Locride, d’où ils étaient partis. Bien des alliés périrent, et les

  1. Un peu plus de trois lieues.