Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

apporta de l’Asie ; que tout étranger qu’il était, il donna son nom au pays où il vint se fixer, et qu’une force plus grande encore s’accumula sur ses descendans, après que les Héraclides eurent tué dans l’Attique Eurysthée, dont Atrée était l’oncle maternel. Eurysthée, partant pour une expédition guerrière, lui confia, comme à son parent, la ville de Mycènes et sa domination. Il fuyait son père qui avait donné la mort à Chrysippe. Comme il ne revint pas, Atrée fut roi de Mycènes et de tout ce qui avait été soumis à Eurysthée ; il parvint à cette puissance de l’aveu même des Mycéniens, qui craignaient les Héraclides ; il paraissait d’ailleurs capable de régner, et il avait eu l’adresse de flatter le peuple. Dès lors les Pélopides furent plus puissans que les descendans de Persée. Agamemnon réunit sur sa tête tout cet héritage, et comme il l’emportait sur les autres par sa marine, il parvint moins par amour, je crois, que par crainte, à rassembler une armée et à s’en rendre le chef. On voit qu’en partant c’était lui qui avait le plus grand nombre de vaisseaux, et qu’il en fournit encore aux Arcadiens ; c’est ce que nous apprend Homère, si l’on en veut croire son témoignage. Ce même poète, en parlant du sceptre qui passa dans les mains d’Agamemnon, dit que ce prince régnait sur un grand nombre d’îles et sur tout Argos. Habitant du continent, s’il n’avait pas eu de marine, il n’aurait dominé que sur les îles voisines, qui ne pouvaient être en grand nombre. C’est par l’expédition de Troie qu’on peut se faire une idée de celles qui avaient précédé.

X. De ce que Mycènes avait peu d’étendue ou de ce que certaines villes de ce temps-là semblent aujourd’hui peu considérables, on aurait tort de conclure, comme d’une preuve assurée, que la flotte des Grecs n’ait pas été aussi considérable que l’ont dit les poètes et que le porte la tradition ; car si la ville de Lacédémone était dévastée, et qu’il ne restât que ses temples et les fondemens des autres édifices, je crois qu’après un long temps, la postérité, comparant ces vestiges avec la gloire de cette république, ajouterait peu de foi à sa puissance. Et cependant sur cinq parties du Péloponnèse, elle en possède deux[1] ; elle commande au reste et elle a au dehors un grand nombre d’alliés. Mais comme la ville n’est pas composée de bâtimens contigus, comme on n’y recherche la magnificence ni dans les temples ni dans les autres édifices, et que la population y est distribuée par bourgades, suivant l’ancien usage de la Grèce, elle paraît bien au-dessous de ce qu’elle est. Si de même il arrivait qu’Athènes fut dévastée, on se figurerait, à l’inspection de ses ruines, que sa puissance était double de ce qu’elle est en effet. Le doute est donc déplacé : c’est moins l’apparence des villes qu’il faut considérer que leur force ; et l’on peut croire que l’expédition des Grecs contre Troie fut plus considérable que celles qui avaient précédé, et plus faible que celles qui se font maintenant. S’il faut accorder ici quelque confiance au poème d’Homère, dans lequel sans doute, en sa qualité de poète, il a embelli les choses en les exagérant, on ne laissera pas de reconnaître que cette expédition le cédait à celles de nos jours. Il la suppose de douze cents vaisseaux ; il fait monter de cent vingt hommes ceux des Bœotiens, et de cinquante ceux de Philoctète ; et comme dans son énumération il ne parle point de la force des autres, je crois qu’il indique les plus grands et les plus petits. Il ne nous laisse pas ignorer que tous les hommes qui montaient le vaisseau de Philoctète, étaient à la fois rameurs et guerriers ; car il fait des archers de tous ceux qui maniaient la rame. Il n’est pas vraisemblable qu’il y eût sur les bâtimens beaucoup d’hommes étrangers à la manœuvre, si l’on excepte les rois et ceux qui étaient dans les plus hautes dignités, surtout lorsqu’on devait faire la traversée avec tous les équipages de guerre ; d’ailleurs les vaisseaux n’étaient pas pontés, ils étaient conformes à l’ancienne construction et ressemblaient à ceux de nos pirates. En prenant donc un milieu entre les plus forts bâtimens et les plus faibles, on voit que le total de ceux qui les montaient ne formait pas un grand nombre de troupes, eu égard à une entreprise que la Grèce entière partageait.

XI. C’est ce qu’il faut moins attribuer à la faiblesse de la population qu’à celle des richesses. Faute de subsistances, on ne leva qu’une armée assez peu considérable, dans l’espérance que la guerre elle-même pourrait la nourrir en pays ennemi. Arrivés dans la campagne de Troie, les Grecs gagnèrent une bataille, c’est un fait certain ; car sans cela ils n’auraient pu se construire

  1. Le Péloponnèse renfermait la Laconie, la Messénie, l’Argolide, l’Arcadie et l’Élide. La Laconie et la Messénie appartenaient aux Lacédémoniens.