Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/160

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pères, qui, sous la conduite de Myronide, victorieux des mêmes ennemis aux Œnophytes, entrèrent en possession de la Bœotie. »

XCVI. Hippocrate était parvenu jusqu’à la moitié de l’armée, et n’avait pas eu le temps d’en parcourir le reste, quand Pagondas, après avoir encouragé de même les Bœotiens, entonna le paean, et aussitôt ils descendirent de la colline. Les Athéniens s’avancèrent à leur rencontre, et ce fut en courant que, des deux côtés, on en vint à l’attaque. Les derniers rangs des deux armées ne prirent point de part à l’action, également arrêtés par des torrens ; mais le reste combattit corps à corps, et l'on se poussait les uns les autres avec les boucliers. L’aile gauche des Bœotiens fut défaite par les Athéniens jusqu’à la moitié de sa profondeur. Les vainqueurs continuaient de la pousser, et chargeaient surtout les Thespiens ; ceux de cette nation qui leur étaient opposés, fléchirent, et renfermés dans un petit espace, ils furent égorgés en se défendant. On vit même des Athéniens perdre leur rang en enveloppant les ennemis, ne se reconnaître plus les uns les autres, et se donner réciproquement la mort. De ce côté, les Bœotiens furent battus, et se retirèrent auprès de ceux qui tenaient encore. La droite où étaient les Thébains fut victorieuse ; elle ne tarda point à repousser les Athéniens, et se mit d’abord à leur poursuite. Pagondas, dans le temps même que l’aile gauche souffrait, détacha deux corps de cavalerie, qui, sans être aperçus, firent le tour de la colline, se montrèrent subitement, et jetèrent la terreur dans l’aile victorieuse des Athéniens, qui les prirent pour une nouvelle armée qui s’avançait. Alors, pressés des deux côtés, rompus par cette cavalerie et par les Thébains, tous prirent la fuite. Les uns se précipitèrent vers Délium et du côté de la mer ; d’autres vers Orope ; d’autres vers le mont Parnès ; chacun enfin du côté où il espérait trouver son salut. Les Bœotiens, et surtout leur cavalerie, et les Locriens qui survinrent à l’instant de la déroute, poursuivirent et massacrèrent les fuyards. La nuit vint à propos mettre fin à cet acharnement et donner au grand nombre la facilité de se sauver. Le lendemain, ceux qui s’étaient réfugiés à Orope et à Délium, laissant une garnison dans cette place qu’ils occupaient encore, se retirèrent chez eux par mer.

XCVII. Les Bœotiens dressèrent un trophée, enlevèrent leurs morts, dépouillèrent ceux des ennemis, et laissant une garde, ils retournèrent à Tanagra. Ils avaient dessein d’attaquer Délium. Un héraut, que les Athéniens envoyaient réclamer leurs morts, rencontra un héraut bœotien qui le fit retourner sur ses pas, l’assurant qu’il n’obtiendrait rien que lui-même ne fût de retour. Celui-ci se présenta aux Athéniens, et leur dit de la part de ceux qui l’envoyaient, qu’ils n’avaient pu, sans crime, enfreindre les lois de la Grèce ; que c’en était une, reconnue par tous les Grecs, quand ils entraient dans le pays les uns des autres, de respecter les lieux sacrés ; que les Athéniens avaient entouré de murailles Délium, qu’ils s’y étaient logés, qu’ils y faisaient tout ce qu’on peut se permettre dans un lieu profane, y puisant même de l’eau, à laquelle les Bœotiens se gardaient de toucher, excepté pour les ablutions dans les cérémonies religieuses : qu’ainsi, au nom du dieu et d’eux-mêmes, les Bœotiens, attestant les immortels, protecteurs de la contrée, et Apollon, leur ordonnaient de se retirer du territoire sacré, et d’emporter tout ce qui leur appartenait.

XCVIII. Quand le héraut eut ainsi parlé, les Athéniens dépêchèrent le leur et le chargèrent de dire aux Bœotiens qu’ils n’avaient commis aucune profanation dans le territoire sacré, et qu’ils n’en commettraient volontairement aucune à l’avenir ; que ce n’était point dans des intentions sacrilèges qu’ils y étaient entrés, mais pour s’en faire un lieu de défense contre des ennemis qui les avaient attaqués injustement ; que les Grecs avaient pour loi, quand ils étaient maîtres d’un pays, fùt-il d’une grande ou d’une petite étendue, de se croire maîtres aussi des lieux sacrés qui s’y trouvaient, en les respectant autant qu’il était en leur pouvoir, et remplissant d’ailleurs les rits accoutumés ; que les Bœotiens eux mêmes en donnent l’exemple comme la plupart des autres peuples ; que lors qu’ils s’emparent d’un pays par la force des armes, et qu’ils en chassent les habitans, ils entrent en possession des temples étrangers, et s’en regardent comme les propriétaires ; que si les Athéniens avaient pu se rendre maîtres d’une plus grande partie de la Bœotie, ils la conserveraient ; qu’ils ne se retireraient pas vo-