Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lontairement de celle qu’ils occupaient, et qu’ils regardaient comme leur propriété ; qu’ils avaient fait usage de l’eau par nécessité et non par mépris, contraints de se défendre contre ceux qui, les premiers, avaient fait des invasions sur leurs terres ; qu’on pouvait croire que les dieux avaient de l’indulgence pour ce qu’on était obligé de se permettre dans la guerre et dans toute espèce de danger ; que même leurs autels étaient un refuge pour les coupables involontaires ; qu’on appelait criminels ceux qui faisaient du mal sans nécessité, et non ceux qui osaient se permettre certaines choses dans le malheur ; que les Bœotiens en offrant de rendre les morts en échange d’un territoire sacré, montraient bien plus d’irréligion que ceux qui refusaient d’obtenir par cet échange ce qu’il était juste de leur accorder. Le héraut avait aussi ordre de leur déclarer nettement qu’ils ne sortiraient pas de la Bœotie, puisqu’ils étaient sur un territoire qui leur appartenait et qu’ils avaient conquis les armes à la main ; et que, suivant les antiques lois, ceux qui traitaient pour recueillir leurs morts devaient obtenir la permission de les enlever.

XCIX. Les Bœotiens répondirent que si les Athéniens étaient sur le territoire de la Bœotie, ils eussent à le quitter, en emportant ce qui leur appartenait ; que s’ils étaient sur leur propre territoire, c’était à eux de savoir ce qu’ils avaient à faire. C’est que les morts étaient sur les confins de l’Oropie, où s’était donnée la bataille, et qu’ils regardaient cette contrée comme faisant partie de la domination d’Athènes. Mais ils ne croyaient pas que les Athéniens pussent enlever les morts malgré eux ; d’ailleurs ils refusèrent d’accorder aucune suspension d’armes pour leurs pays, et ils crurent faire une réponse convenable en disant aux Athéniens de quitter leur territoire, et d’emporter ce qu’ils réclamaient. Le héraut d’Athènes ne reçut pas d’autre réponse, et se retira sans avoir rien fait.

C. Aussitôt les Bœotiens mandèrent du golfe de Malée des guerriers armés de javelots et de frondes ; il leur était survenu après la bataille deux mille hoplites de Corinthe, la garnison péloponnésienne sortie de Nisée, et des Mégariens. Avec ces renforts, ils mirent le siège devant Délium et commencèrent l’attaque des murailles. Entre les différens moyens qu’ils employèrent, ils firent approcher une machine qui les rendit maîtres de la place. C’était un grand madrier qu’ils scièrent en deux dans sa longueur et qu’ils creusèrent dans toute son étendue : ils rejoignirent ensuite exactement les deux pièces qui formèrent un canal. A l’un des bouts, ils suspendirent une chaudière avec des chaînes ; un tuyau de fer traversait le canal et venait aboutir à la chaudière ; le madrier était aussi garni de fer dans sa plus grande partie. Cette machine fut apportée de loin sur des chariots, et appliquée à l’endroit où le mur était surtout construit de sarmens et de bois. Quand on l’eut approchée, on adapta de grands soufflets au bout du canal qui regardait les assiégeans, et on les mit en jeu. L’air comprimé se portant dans la chaudière remplie de charbons allumés, de soufre et de poix, excita une grande flamme, et embrasa les fortifications. Personne n’y put rester ; tous les abandonnèrent et se mirent en fuite ; elles furent emportées. Une partie de la garnison périt ; deux cents hommes furent faits prisonniers ; la plus grande partie du reste se réfugia sur la flotte et retourna dans l’Attique.

CI. Délium fut pris dix-sept jours après la bataille[1]. Le héraut des Athéniens, sans rien savoir de ce qui s’était passé, vint peu de temps après réclamer encore une fois les morts. On les lui rendit sans rien lui apprendre. Les Bœotiens avaient perdu dans la bataille un peu moins de cinq cents hommes ; les Athéniens un peu moins de mille : de ce nombre était Hippocrate. Peu après cette affaire, Démosthène, n’ayant pas réussi dans l’objet de sa navigation, qui était de se rendre maître de Siphès par les intelligences qu’on y entretenait, fit une descente dans les campagnes de Sicyone : il avait sur sa flotte quatre cents hoplites tant Acarnanes qu’Agræens et Athéniens. Avant que tous les vaisseaux fussent abordés à la côte, les Sicyoniens accoururent au secours, mirent en fuite les troupes qui étaient descendues et les poursuivirent jusqu’à leurs bâtimens ; ils tuèrent, ils firent des prisonniers, dressèrent un trophée et rendirent les morts. Pendant le siège de Délium, avait péri Sitalcès, roi des Odryses ; il faisait la guerre aux Triballes et fut vaincu. Seuthès, son neveu, fils de Sparadocus, régna sur les Odryses et sur la

  1. Dans le cours du mois de novembre.