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Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/163

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dans cette partie de la Thrace, des fabriques pour l’exploitation des mines d’or, ce qui le rendait l’un des hommes le plus riche du continent ; et il fit ses efforts pour hâter la reddition avant l’arrivée de ce général. Il appréhendait que le peuple d’Amphipolis ne refusât de rien entendre, dans l’espérance que Thucydide, avec le secours qu’il amènerait par mer, et ceux qu’il rassemblerait de la Thrace, parviendrait à le sauver ; il offrit donc des conditions modérées, et fit proclamer par un héraut, que tous les Amphipolitains et les Athéniens seraient maîtres de rester, en conservant leurs droits el leurs fortunes, et que ceux qui voudraient sortir, auraient cinq jours pour emporter ce qui leur appartenait.

CVI. Cette proclamation opéra dans les esprits une révolution d’autant plus sensible, qu’entre les habitans il n’y avait que peu d’Athéniens, que le reste était composé d’hommes rassemblés de toutes parts, et qu’un grand nombre de ceux qui logeaient dans la ville, étaient liés de parenté avec les prisonniers qu’on avait faits au dehors. La crainte qu’on éprouvait faisait trouver justes les propositions de Brasidas : elles le paraissaient aux Athéniens, par l’envie qu’ils avaient de se retirer, persuadés qu’ils auraient moins de dangers à courir, et n’ayant que peu d’espérance d’être promptement secourus ; elles le paraissaient au reste du peuple, qui ne serait privé de la qualité de citoyens ni de ses droits, et qui, contre toute espérance, se voyait hors de péril. Dès lors, ceux qui s’entendaient avec Brasidas, osèrent célébrer ouvertement la justice de ses offres, encouragés par le changement du peuple, et parce qu’ils voyaient que le général athénien qui était présent ne pouvait se faire écouter. Enfin on tomba d’accord avec le général lacédémonien, et il fut reçu aux conditions qu’il avait fait publier. Ce fut ainsi que la ville fut rendue. Le même jour, Thucydide arriva sur le soir à Éion avec ses vaisseaux. Brasidas venait de prendre Amphipolis, et il ne s’en fallut que d’une nuit qu’il ne se rendit maître d’Éion : si les vaisseaux n’avaient pas porté un prompt secours, la place eût été perdue au lever de l’aurore.

CVII. Thucydide fit ensuite à Éion les dispositions nécessaires pour y mettre la sûreté, dans le moment présent, si Brasidas venait l’attaquer, et pour la conserver à l’avenir : il entra dans ses mesures d’y offrir une retraite à tous ceux qui voudraient y venir d’Amphipolis, comme le traité le leur permettait. Brasidas ne tarda point à descendre, en suivant le cours du fleuve avec un grand nombre de bateaux ; il essaya d’intercepter l’embouchure du Strymon, et s’emparant d’une pointe de terre qui s’avance en dehors des murailles, il fit en même temps par terre des tentatives contre la place ; mais il fut repoussé des deux côtés, et ne s’occupa plus que de mettre en bon état Amphipolis. Myrcine, ville de l’Édonide, se donna volontairement à ce général, après la mort de Pittacus, roi des Édoniens, qui fut tué par les enfans de Goaxis et par sa femme Brauro. Cet exemple fut suivi par Gapselus et par Œsimé, qui sont des colonies de Thasos. Perdiccas était venu trouver Brasidas aussitôt après la reddition d’Amphipolis ; il le seconda dans ces acquisitions.

CVIII. La perte de cette place jeta les Athéniens dans une violente crainte. La possession leur en était avantageuse, parce qu’ils en tiraient des bois de construction, et qu’ils en recevaient des contributions pécuniaires ; d’ailleurs ils voyaient s’ouvrir aux Lacédémoniens, contre les alliés d’Athènes, une route jusqu’au Strymon, dans laquelle ils auraient les Thessaliens pour guides. Tant qu’ils étaient restés maîtres du pont, comme il se trouve du côté du continent un grand lac formé par le fleuve, et que du côté d’Éion, ils faisaient la garde avec des trirèmes, ils ne craignaient pas que l’ennemi pût franchir ces obstacles ; et c’est ce qu’ils pensaient que désormais il pourrait faire aisément. Ils appréhendaient la défection des alliés ; car Brasidas, qui montrait dans toute sa conduite un caractère de modération, répétait partout qu’il n’était envoyé que pour délivrer la Grèce. Les villes sujettes d’Athènes, instruites de la conquête d’Amphipolis, de la conduite du vainqueur et de la douceur qu’il avait fait paraître, concevaient le goût le plus vif pour un changement de domination. Elles lui adressaient en secret des messages, elles l’appelaient, et c’était à qui serait la première à se révolter ; elles croyaient n’avoir rien à craindre, trompées sur la puissance des Athéniens, qu’elles ne présumaient pas aussi grande qu’elle se montra dans la suite, et n’appuyant leurs jugemens que sur leurs aveu-