Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/18

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côtes. Polycrate, tyran de Samos, pendant le règne de Cambyse, fut puissant sur mer et soumit à sa domination plusieurs îles, entre autres celle de Rhénie ; il consacra cette dernière à Apollon de Délos. Les Phocéens, fondateurs de Marseille, vainquirent par mer les Carthaginois[1].

XIV. Voilà quelles étaient les plus puissantes marines. On voit qu’elles ne se formèrent que plusieurs générations après le siège de Troie ; elles employaient peu de trirèmes, et comme au temps de ce siècle, elles étaient encore composées de pentécontores[2] et de vaisseaux longs.

Peu après la guerre médique et la mort de Darius, qui succéda sur le trône de Perse à Cambyse, les tyrans de la Sicile et les Corcyréens eurent un grand nombre de trirèmes. Ce furent dans la Grèce les seules flottes considérables avant la guerre de Xerxès : car les Éginètes, les Athéniens, et peut-être quelques autres, n’en avaient que de faibles, et qui n’étaient guère composées que de pentécontores ; ce fut même assez tard et seulement quand Thémistocle, qui s’attendait à l’invasion des Barbares, eut persuadé aux Athéniens, alors en guerre avec les Éginètes, de construire des vaisseaux sur lesquels ils combattirent ; tous n’étaient pas même encore pontés.

XV. Telles furent les forces maritimes que possédèrent les Grecs dans les temps anciens et même dans ceux qui sont les moins éloignés de nous. Les villes qui avaient des flottes supérieures se procurèrent une puissance respectable par leurs revenus pécuniaires et par leur domination sur les autres, car, avec leurs vaisseaux, elles se soumirent les îles. C’est ce qui arriva surtout aux peuples dont le territoire ne suffisait pas à leurs besoins.

D’ailleurs il ne se faisait par terre aucune expédition capable d’augmenter la puissance d’un état ; toutes les guerres qui s’élevaient n’étaient que contre des voisins, et les Grecs n’envoyaient pas des armées au dehors faire des conquêtes loin de leurs frontières. On ne voyait pas de villes s’associer à celles qui avaient plus de force, et se soumettre à leur commandement ; des républiques égales entre elles n’apportaient pas en commun des contributions pour lever des armées, seulement les voisins se faisaient en particulier la guerre les uns aux autres. Ce fut, surtout dans celle que se firent autrefois les peuples de Chalcis et d’Érétrie, que le reste de la Grèce se partagea pour donner des secours aux uns ou aux autres.

XVI. Il survint à certaines républiques différens obstacles qui ne leur permirent pas de s’agrandir. Ainsi les Ioniens voyaient s’élever très haut leur fortune, quand Cyrus, avec les forces du royaume de Perse, abattit Crœsus, conquit tout ce qui se trouve au-delà du fleuve Halys jusqu’à la mer, et réduisit en servitude les villes du continent. Darius vainquit ensuite les Phéniciens sur la mer, et se rendit maître des îles.

XVII. Ce qu’il y avait de tyrans dans les différens états de la Grèce, occupés seulement de pourvoir à leurs intérêts, de défendre leur personne et d’agrandir leur maison, se tenaient surtout dans l’enceinte des villes, pour y vivre autant qu’il était possible, en sûreté. Si l’on excepte ceux de Sicile, qui s’élevèrent à une grande puissance, ils ne firent rien de considérable, seulement chacun d’eux put exercer quelques hostilités contre ses voisins. Ainsi de toutes parts et pendant long-temps, la Grèce fut hors d’état de faire en commun rien d’éclatant, et chacune de ses villes était incapable de rien oser.

XVIII. Après que les derniers tyrans d’Athènes et du reste de la Grèce, car presque tout entière elle avait été soumise à la tyrannie, eurent été la plupart chassés par les Lacédémoniens, excepté ceux de Sicile, ce peuple devint puissant par cet exploit, et ce fut lui qui régla les intérêts des autres républiques. Il est bien vrai que Lacédémone, fondée par les Doriens qui l’habitent, fut plus long-temps qu’aucune autre ville dont nous ayons connaissance, agitée de séditions ; mais elle eut, dès l’antiquité la plus reculée, de bonnes lois et ne fut jamais soumise au pouvoir tyrannique. Il s’est écoulé quatre cents ans et même un peu plus, jusqu’à la fin de la guerre que nous écrivons, depuis que les Lacédémoniens vivent sous le même régime.

Peu d’années après l’extinction de la tyrannie dans la Grèce, se donna la bataille de Marathon

  1. Une querelle, pour quelques bateaux de pêcheurs, fut la cause de cette guerre. (Justin, I. xliii, c. v.)
  2. Pentécontore, vaisseau de cinquante rames, ou plutôt de cinquante rameurs ; car il n’était monté que de cinquante hommes, comme Thucydide vient de le dire paragraphe x, en parlant des vaisseaux de Philoctète, et les mêmes hommes ne pouvaient ramer continuellement.