Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas même consentir à cette proposition, et il leur fut interdit d’entrer dans le lieu sacré, et de prendre part aux sacrifices et aux jeux : ils remplirent chez eux les actes de religion. Le reste de la Grèce se rendit à la solennité, excepté les Lépréates. Cependant les Éléens ne laissaient pas de craindre que les Lacédémoniens ne missent la force en usage pour être admis aux sacrifices ; ils établirent une garde de jeunes gens armés. Il vint se joindre à eux mille Argiens, autant de Mantinéens, et des cavaliers d’Athènes qui attendaient à Argos la célébration de la fête ; car on éprouvait dans cette assemblée solennelle une grande crainte de voir les Lacédémoniens arriver en armes, surtout depuis que Lichas de Lacédémone, fils d’Arcésilas, avait été battu dans la lice par les huissiers[1]. La paire de chevaux qu’il avait envoyée était victorieuse ; comme il ne lui était pas permis de concourir, le héraut proclama que c’était des chevaux appartenant à la commune des Bœotiens qui avaient remporté le prix ; mais lui-même alors, s’avançant dans la lice, ceignit le cocher d’une bandelette, pour faire connaître que le char lui appartenait. Cet incident augmenta la crainte de tous les spectateurs, et l’on s’attendait à quelque chose de fâcheux. Cependant les Lacédémoniens se tinrent en repos, et les fêtes se passèrent sans accident. Après la célébration des jeux[2], les Argiens et leurs alliés passèrent à Corinthe, pour prier cette république de s’unir à leur faction ; des députés de Lacédémone s’y trouvèrent : il y eut bien des pourparlers, mais on finit par ne rien faire. Un tremblement de terre survint, chacun se sépara, et l’été finit.

LI. L’hiver suivant[3], les Éniens, les Dolopes, les Méliens, et une partie des Thessaliens eurent un combat avec les Héracléotes de Trachine. Les peuples voisins de cette ville en étaient ennemis ; car ce ne pouvait être que contre leur territoire qu’on l’avait élevée. Ils se hâtèrent de l’attaquer dès qu’elle fut bâtie, faisant tous leurs efforts pour la détruire. Ils remportèrent la victoire ; Xénarès, fils de Cnidis, de Lacédémone, qui commandait les Héracléotes, fut tué ; d’autres Héracléotes eurent le même sort : l’hiver finit, et avec lui, la douzième aunée de cette guerre.

LII. Dès le commencement de l’été suivant[4], comme, depuis cette bataille, Héraclée tombait dans la misère et se ruinait, les Bœotiens la reçurent sous leur protection et chassèrent Hégésippidas de Lacédémone, qui en avait l’administration et dont on était mécontent. Ils se rendaient maîtres de ce lieu, de peur que les Athéniens ne missent à profit, pour s’en emparer, le temps où les Lacédémoniens étaient enveloppés dans les troubles du Péloponnèse. Cela ne laissa pas que d’indisposer contre eux Lacédémone.

Dans le même été[5], Alcibiade, fils de Clinias, alors général des Athéniens, passa, d’intelligence avec les Argiens et leurs alliés, dans le Péloponnèse, accompagné d’un petit nombre d’hoplites et d’archers d’Athènes. Il reçut à sa suite quelques alliés du pays. En le traversant avec son armée, il y régla ce qui intéressait l’alliance, persuada aux habitans de Pâtres de conduire leurs fortifications jusqu’à la mer, et lui-même conçut le projet d’en élever d’autres à Rhium d’Achaïe. Mais les Corinthiens, les Sicyoniens et les habitans des autres villes qu’elles auraient incommodées, accoururent et s’opposèrent à leur construction.

LIII. Le même été[6] s’éleva une guerre entre les Épidauriens et les Argiens, sous le prétexte d’une victime que les premiers devaient à Apollon Pythien, et qu’ils n’avaient pas envoyée. C’était surtout aux Argiens qu’appartenait l’intendance du temple : mais quand ils n’auraient pas eu de prétexte, ils jugeaient, comme Alcibiade, qu’il était important de s’emparer, s’il était possible, d’Épidaure : c’était un moyen de forcer Corinthe à demeurer en repos, et les Athéniens auraient moins de chemin à faire pour leur amener du secours d’Égine, qu’en faisant par mer le tour de Scylléum. Ils se disposèrent

  1. Thucydide les appelle rabdouxous ;, ce qui signfie littéralement des hommes armés de verges. Mais Pausanias nous apprend que Lichas fut battu à coups de fouets par les bellanodices ou préfets des jeux.
  2. Fin de juillet.
  3. Après le 30 septembre.
  4. Treizième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-dixième olympiade, quatre cent vingt ans avant l’ère vulgaire. Depuis le 26 mars.
  5. Treizième année de la guerre du Péloponnèse, seconde année de la quatre-vingt-dixième olympiade, quatre cent dix-neuf ans avant l’ère vulgaire. En juillet.
  6. En avril.