Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/201

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tes envers ceux qui sont en danger, et à permettre qu’ils tirent auprès de vous quelque avantage des raisons plausibles qu’ils allèguent, quand elles ne seraient pas d’une justesse rigoureuse. Et ces principes ne vous sont pas moins favorables, à vous qui, s’il vous arrivait de succomber, après avoir sévèrement puni les autres, auriez offert un exemple qui tournerait contre vous-mêmes. »

XCI. Les Athéniens. « Nous ne craignons pas la fin de notre domination, quand même elle devrait finir. Ce ne sont pas des peuples dominateurs, tels que les Lacédémoniens, qui sont redoutables aux vaincus. Au reste, il ne s’agit point ici d’une querelle avec les Lacédémoniens, mais de savoir si, quelque part que ce soit, les sujets pourront se soulever contre ceux qui les commandent, et en devenir les maîtres. Que pour un objet d’une telle importance, il nous soit permis de braver les dangers. Nous allons vous faire connaître que nous sommes ici pour travailler tout ensemble au bien de notre empire et au salut de votre république. Nous voulons vous tenir sous notre puissance, sans qu’il nous en coûte de peine, et vous conserver pour votre avantage et pour le nôtre. »

XCII. Les Méliens. « Et comment nous serait-il avantageux d’être réduits à la servitude, comme à vous de nous commander ? »

XCIII. Les Athéniens. « C’est que vous en seriez quittes pour devenir sujets, avant d’avoir souffert les dernières extrémités, et que nous-mêmes en gagnerions à ne vous pas faire périr.

XCIV. Les Méliens. « Vous n’accepteriez donc pas que, vous tenant en repos, nous fussions vos amis au lieu d’être vos ennemis, sans entrer dans l’alliance de personne ? »

XCV. Les Athéniens. « Eh ! votre haine nous est moins nuisible que ne le serait votre amitié. Celle-ci serait prise, par nos sujets, pour une marque de notre faiblesse ; celle-là, pour un exemple de notre puissance. »

XCVI. Les Méliens. « Vos sujets ont donc assez peu d’idées de convenances, pour ne mettre aucune distinction entre les peuples qui ne vous appartiennent en rien, et les nombreuses colonies qui vous doivent leur fondation, dont quelques-unes se sont soulevées, et que vous êtes parvenus à réduire ? »

XCVII. Les Athéniens. « Ils pensent que ni les uns ni les autres ne manqueraient de justes raisons en leur faveur ; mais que ceux qui se conservent doivent leur salut à leur force, et que c’est par crainte que nous ne les attaquons pas. Ainsi donc, en vous soumettant, nous augmentons le nombre de nos sujets, et notre sûreté. Surtout il nous importe qu’insulaires comme vous l’êtes, et même plus faibles que d’autres, on ne dise pas que vous avez pu nous résister, à nous les maîtres de la mer. »

XCVIII. Les Méliens. « Vous ne croyez donc pas qu’il importe à votre sûreté de ne point attaquer les peuples qui ne vous appartiennent pas ? Car, puisque vous écartez ici les idées du juste, pour nous persuader d’obéir à vos intérêts, il faut aussi que nous vous fassions connaître les nôtres, pour essayer de vous persuader, si, par hasard, ils se trouvent d’accord avec vos avantages. Comment n’armerez-vous pas contre vous ceux qui gardent maintenant la neutralité, si, d’après la conduite que vous tenez avec nous, ils pensent qu’un jour aussi vous marcherez contre eux ? Et par-là que faites-vous autre chose, qu’agrandir ceux qui sont maintenant vos ennemis, et qu’exciter contre vous, en dépit d’eux-mêmes, ceux qui ne songeaient pas même à le devenir ? »

XCIX. Les Athéniens. « Les peuples que nous regardons comme les plus dangereux pour nous ne sont pas ceux qui occupent quelque partie du continent. Libres, ils seront long-temps avant de penser à se mettre contre nous sur leurs gardes. Ce que nous craignons, ce sont les insulaires, aussi bien que ceux qui ne reconnaissent comme vous aucune puissance, que ceux qu’irrite déjà l’empire auquel les soumet la nécessité. Voilà ceux qui, sans écouter la raison, sont capables de se précipiter dans un danger manifeste, et de nous y plonger avec eux. »

C. Les Méliens. « Mais si vous-mêmes, pour n’être pas dépouillés de l’empire, et ceux qui vous obéissent pour s’y soustraire, vous osez braver tant de périls. nous serions bien lâches et bien méprisables, nous libres encore, de ne pas tout hasarder avant de subir la servitude. »

CI. Les Athéniens. « C’est ce que vous ne ferez pas, si du moins vous êtes sages. Car il ne s’agit pas pour vous d’un combat à forces égales, où vous disputeriez de valeur, quittes pour de la honte, si vous étiez vaincus : il s’agit de