Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/230

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résolutions qu’ils devront la victoire : la gloire en sera pour eux, et le prix de leur triomphe sera de mettre sous leur joug ceux qui les auront fait triompher. Mais si nous sommes au contraire victorieux, vous serez punis comme auteurs des dangers que nous aurons courus. Examinez donc, et choisissez entre deux partis : l’un, sans vous exposer aux hasards, de subir dès à présent la servitude ; l’autre, de vaincre avec nous, de ne pas vous donner honteusement les Athéniens pour maîtres, et d’éviter notre haine, qui ne serait pas de courte durée. »

LXXXI. Ce fut ainsi qu’Hermocrate s’exprima. Après lui, Euphémus, député d’Athènes, parla à peu près en ces termes :

LXXXII. « Nous n’étions venus ici que pour renouveler avec vous notre ancienne alliance ; mais le député de Syracuse s’élève contre nous, et c’est nous forcer à montrer que nous ne jouissons pas injustement de la domination. Lui-même a cité le plus grand témoignage en notre faveur ; c’est que, de tout temps, les Ioniens furent ennemis des Doriens. Le fait est vrai ; et c’est en qualité d’Ioniens que nous avons cherché le moyen de n’être pas soumis aux peuples du Péloponnèse qui sont Doriens, qui l’emportent sur nous par le nombre, et qui sont voisins de notre pays. Quand, après la guerre des Mèdes, nous eûmes acquis une marine, nous abjurâmes la domination et le commandement des Lacédémoniens, parce qu’il ne leur appartenait pas plus de nous commander, qu’à nous de leur donner des ordres, si ce n’est pendant le temps qu’ils furent les plus forts. Reconnus pour chefs des peuples auparavant soumis au roi, si nous avons pris sur eux l’autorité, c’est que, pour n’être pas sous l’empire des Péloponnésiens, il fallait avoir une force capable de nous défendre contre eux. Et, sans doute, ce n’est pas injustement que nous avons réduit sous notre puissance ces Ioniens, ces insulaires, que les Syracusains nous reprochent d’avoir asservis, quoiqu’ils eussent avec nous une même origine : ils s’étaient armés avec le Mède contre leur mère-patrie, contre nous ; ils n’avaient pas osé détruire leurs propriétés, comme nous avions abandonné notre ville ; ils avaient eux-mêmes choisi la servitude, et voulaient nous y soumettre.

LXXXIII. « C’est ainsi que nous avons acquis l’empire, et nous en sommes dignes, nous qui avons fourni, pour le service des Grecs, le plus grand nombre de vaisseaux, et qui leur avons fait voir un zèle à toute épreuve, tandis que ceux qui nous obéissent, partageaient gaîment le dessein du Mède et nous traitaient en ennemis. Mais surtout nous voulions acquérir de la force contre les peuples du Péloponnèse. Car nous ne chercherons pas à nous parer de beaux discours pour montrer qu’il est juste que nous commandions, soit pour avoir seuls détruit les Barbares, soit pour nous être précipités dans les dangers, plus encore pour la liberté des Péloponnésiens que pour celle de tous les Grecs et pour la nôtre. On ne peut reprocher à personne de pourvoir à sa conservation. C’est pour travailler à notre sûreté que nous sommes venus en Sicile, et nous voyons que nos intérêts sont les vôtres. Nous le démontrons par les faits mêmes que ces députés nous reprochent, par ceux qui excitent principalement vos craintes et vos défiances. Nous savons que, dans la terreur et les soupçons, on peut être agréablement chatouillé pour le moment par les charmes du discours ; mais qu’ensuite, lorsqu’il faut agir, c’est l’intérêt que l’on consulte. Nous l’avons déclaré ; c’est par crainte que nous nous sommes saisis de la domination dans la Grèce ; et c’est par le même sentiment que nous venons établir en Sicile, avec l’aide de nos amis, l’ordre qui convient à notre sûreté, non dans le dessein de les asservir, mais d’empêcher qu’ils ne subissent la servitude.

LXXXIV. « Qu’on ne pense pas que nous n’ayons aucun intérêt à gagner votre amitié. Si vous êtes conservés, si vous n’êtes pas trop faibles pour résister aux Syracusains, ils feront passer moins de forces aux peuples du Péloponnèse, et nous aurons moins à souffrir de leur part. Voila comment vous nous touchez de bien près. Il nous est avantageux, par la même raison, de rétablir les Léontins ; non pour les réduire à l’état de sujets, comme les Chalcidiens de l’Eubée qui ont avec eux une même origine, mais pour les maintenir dans la plus grande force, afin que, voisins de Syracuse, ils nous servent en lui donnant de l’inquiétude. Mais dans la Grèce, nous nous suffisons à nous-mêmes contre nos ennemis. Ainsi donc, ces Chalcidiens qu’on trouve déraisonnable que nous ayons asservis, quand nous travaillons à la