Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle était abandonnée, et qu’il leur serait aisé de s’en rendre maîtres. Ils prirent en effet un espace de dix plètres du mur avancé et le rasèrent ; mais Nicias les empêcha de parvenir à l’enceinte même. Le hasard voulut qu’il y eût été retenu par une indisposition. Comme il ne voyait pas d’autre moyen de sauver le peu d’hommes qu’il avait avec lui, il ordonna aux valets de mettre le feu à tout ce qui se trouvait de machines et de bois en avant du retranchement. Ce qu’il avait prévu arriva : l’incendie ne permit pas aux Syracusains de s’approcher davantage, et ils se retirèrent. Déjà retournaient de la plaine les Athéniens qui s’étaient mis à la poursuite des ennemis ; ce fut un secours qui vint à propos pour défendre l’enceinte ; en même temps les vaisseaux arrivèrent de Thapsos, suivant l’ordre qu’ils avaient reçu, et entrèrent dans le grand port. Les Syracusains qui étaient sur les hauteurs les virent ; ils se retirèrent à la hâte, et toute l’armée de Syracuse rentra dans la place. Ils ne se croyaient plus, avec ce qu’ils avaient de forces, en état d’empêcher que le grand mur ne fût conduit jusqu’à la mer.

CIII. Les Athéniens élevèrent ensuite un trophée. Ils accordèrent aux ennemis la permission d’enlever leurs morts, et reçurent le corps de Lamachus et de ceux qui avaient été tués auprès de lui. Comme ils avaient alors toutes leurs forces de terre et de mer, ils enceignirent les assiégés d’un double mur, qui, partant d’Épipole et du rocher, se prolongeait jusqu’au rivage. De tous côtés, il leur arrivait d’Italie des munitions. Il leur vint de chez les Sicules un grand nombre d’alliés qui étaient restés jusque-là dans l’irrésolution, et ils reçurent de la Tyrsénie trois pentécontores[1].

Tout enfin allait de manière à leur donner d’heureuses espérances. Les Syracusains, ne voyant arriver aucun secours du Péloponnèse, ne s’attendaient plus à prendre la supériorité. Ils parlaient entre eux d’en venir à un accommodement, ils en faisaient porter des paroles à Nicias ; car lui seul commandait depuis la mort de Lamachus. Rien ne se concluait ; mais comme on devait l’attendre de gens hors d’eux-mêmes, et qui étaient plus resserrés que jamais, on portait des propositions de toute espèce au général ennemi, et l’on était encore moins d’accord dans l’intérieur de la ville. Le malheur des circonstances avait semé les soupçons entre les citoyens. On destitua les généraux sous lesquels étaient arrivés les maux qu’on éprouvait, et qu’on ne manquait pas d’attribuer à leur mauvaise fortune ou à leur perfidie. On leur en substitua de nouveaux : Héraclide, Eucléas et Tellias.

CIV. Cependant Gylippe de Lacédémone et les vaisseaux partis de Corinthe étaient dès lors à Leucade, pour porter au plus tôt des secours en Sicile : mais comme il leur arrivait de fâcheuses nouvelles, et que toutes, d’accord dans leur fausseté, portaient que déjà Syracuse était entière ment investie d’un mur de circonvallation, Gylippe partit d’abord de Tarente pour aller négocier à Thurium, où il avait hérité de son père le droit de cité : mais il ne put gagner les habitans, remit en mer et côtoya l’Italie. Surpris à la hauteur du golfe de Ténare d’un vent qui soufflait du nord avec violence, il fut porté dans la haute mer ; tourmenté de nouveau par la tempête, il prit terre à Tarente, et fit tirer à sec, pour les radouber, tous les vaisseaux qui avaient souffert.

Nicias apprit qu’il était en mer, et n’eut que du mépris pour le petit nombre de vaisseaux qui l’accompagnaient ; les habitans de Thurium éprouvèrent le même sentiment. On le regardait comme équipé plutôt pour exercer la piraterie que pour faire la guerre, et personne encore ne se joignit à lui.

CV. A la même époque de cet été, les Lacédémoniens entrèrent dans le pays d’Argos avec leurs alliés, et saccagèrent une grande partie de la campagne. Les Athéniens, avec trente vaisseaux, apportèrent aux Argiens des secours. C’était rompre ouvertement la trêve avec Lacédémone ; car jusque-là, s’ils avaient fait la guerre conjointement avec les Argiens et les Mantinéens, et s’ils étaient sortis de Pylos pour se livrer au pillage, c’était plutôt le reste du Péloponnèse que la Laconie qu’ils avaient attaqué. Invités plusieurs fois par les Argiens à y entrer seulement en armes, et à se retirer après en avoir dévasté quelque faible partie, ils l’avaient refusé. Mais en cette dernière occasion, sous le commandement de Pythodore, de Læs-

  1. Nous avons déjà dit que la Tyrsénie était l’Étrurie, aujourd’hui la Toscane, ei qu’une pentécontore était un vaisseau monté de cinquante hommes.