Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/241

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Gylippe assembla ses troupes, et leur représenta que ce n’était point à elles-mêmes, mais à lui seul qu’il fallait attribuer le malheur qu’elles venaient d’éprouver ; qu’en les mettant en bataille à l’étroit dans l’espace qui séparait les retranchemens, il s’était ôté l’usage de la cavalerie et des gens de traits ; qu’il allait de nouveau les mener à l’ennemi, qu’il les priait d’observer qu’ils n’étaient pas inférieurs en forces, et qu’il leur serait impardonnable, à eux Doriens, de se croire incapables de vaincre et de chasser du pays, des Ioniens, des insulaires, la lie des nations.

VI. Le moment arrivé, il les reconduisit au combat. Nicias et les Athéniens pensaient de leur côté que, si les ennemis ne voulaient pas engager l’action, eux-mêmes ne pouvaient, d’un œil tranquille, voir s’élever près d’eux un retranchement. En effet, il s’en fallait bien peu que le mur des assiégés ne dépassât celui des Athéniens ; et s’il venait à l’excéder, c’était la même chose pour les Syracusains de donner continuellement des combats et d’en sortir victorieux, ou de ne pas combattre du tout. Les troupes d’Athènes s’avancèrent donc à la rencontre des ennemis. Gylippe, avant d’attaquer, conduisit les hoplites plus en avant des tranchées que la première fois ; il disposa la cavalerie et les gens de traits de manière à prendre en flanc les Athéniens, et les posta à l’endroit où se terminaient les retranchemens des deux armées. La cavalerie, pendant l’action, fondit sur l’aile gauche des Athéniens qui lui était opposée et la mit en fuite. Par cette manœuvre, le reste de l’armée fut battu et se retira en désordre dans ses lignes. Les ennemis eurent le temps, la nuit suivante, d’élever leur muraille près de celle des Athéniens, et de la prolonger au-delà des travaux de ces derniers : c’était n’avoir plus à craindre de leur part aucun obstacle, et leur ôter absolument le moyen de les renfermer, même en gagnant une bataille.

VII. Le reste des vaisseaux de Corinthe, d’Ambracie et de Leucade, au nombre de douze, arriva sans avoir été rencontré par les vaisseaux d’observation d’Athènes[1]. Ils étaient sous le commandement d’Erasinidas de Corinthe. Ils aidèrent les Syracusaius à terminer leurs retranchemens jusqu’au mur transversal. Gylippe partit dans le dessein de lever, dans les autres parties de la Sicile, des troupes de terre et de mer, et de faire entrer dans la fédération des villes qui n’avaient encore montré que peu de zèle ou qui même s’étaient absolument éloignées de la guerre. D’autres députés Syracusains et Corinthiens furent dépêchés à Lacédémone et à Corinthe, pour y solliciter encore une armée : elle passerait sur des vaisseaux de charge, sur de petits bâtimens, comme il se pourrait enfin, pourvu qu’elle arrivât, parce que les Athéniens avaient aussi mandé du renfort. Les Syracusains équipèrent une flotte ; ils voulaient s’essayer dans cette grande affaire, et ils mettaient à toutes les autres dispositions beaucoup de vivacité.

VIII. Nicias, informé des opérations des ennemis et les voyant chaque jour augmenter de force, pendant que ses embarras ne faisaient que s’accroître, envoya de son côté des messages à Athènes ; c’est ce qu’il avait déjà fait souvent quand les affaires l’avaient exigé, et ce qui devenait alors plus nécessaire ; car il se jugeait aux dernières extrémités, et si l’on ne prenait pas le parti de rappeler l’armée ou de lui envoyer de puissans renforts, il ne voyait aucun moyen de salut. Dans la crainte que ceux qu’il dépêchait, soit par l’impossibilité de se bien exprimer, soit pour n’avoir pas bien saisi sa pensée ou pour complaire à la multitude, ne rapportassent pas les choses comme elles étaient, il les chargea d’une lettre. Il jugeait que par ce moyen les Athéniens bien instruits de sa façon de penser, sans qu’elle pût être altérée par ceux qui en feraient le rapport, régleraient leurs délibérations d’après le véritable état des choses. Ses agens partirent chargés de sa lettre, avec des instructions sur tout ce qu’ils devaient ajouter, et lui-même resta dans son camp, ne faisant que le regarder, sans se mettre volontairement au hasard.

IX. A la fin de cet été, Évétion, général des Athéniens, assaillit Amphipolis avec Perdiccas et des troupes nombreuses de la Thrace. Il ne put se rendre maître de la ville ; mais il fit passer le Strymon à trois vaisseaux, et ce fut du côté de ce fleuve et des campagnes d’Iméra qu’il assiégea la place. L’été finit.

X. L’hiver suivant, les agens de Nicias arri-

  1. Fin de juillet ou commencement d’août.