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LIVRE HUITIÈME.


1.[1] Quand cette nouvelle fut apportée à Athènes, on refusa long-temps de croire, même sur le témoignage des guerriers de la première distinction qui étaient échappés au combat, que la défaite eût été si générale. Mais, quand la vérité fut enfin connue, on prit en haine les orateurs dont les voix réunies avaient inspiré tant de zèle pour l’expédition, comme si le peuple lui-même ne l’avait pas autorisée de son suffrage. Les publicateurs d’oracles, les devins, et tous ceux qui, échauffant son enthousiasme, avaient fait croire que l’on se rendrait maître de la Sicile, furent les objets de l’indignation publique. On n’avait, de toutes parts, que des sujets de douleur ; et au désastre que l’on venait d’éprouver, se joignait la terreur et la plus profonde consternation. D’un côté, chacun avait à gémir en particulier sur ses pertes, et la république à regretter cette multitude d’hoplites, de cavaliers, cette jeunesse florissante qu’elle n’était plus en état de remplacer ; de l’autre, on ne voyait plus dans les chantiers de vaisseaux en état de tenir la mer, plus d’argent dans le trésor, plus de matelots pour la flotte, et dans l’état où l’on se trouvait réduit, on perdait toute espérance de salut. On imaginait voir à l’instant les ennemis de Sicile, après une telle victoire, aborder au Pirée ; ceux de la Grèce, avec un appareil deux fois plus formidable qu’auparavant, tourner par terre et par mer leurs efforts contre l’Attique, et les alliés de la république soulevés l’attaquer avec eux. On décida cependant qu’il fallait résister, autant que le permettraient les ressources qu’on avait encore, équiper même des flottes, se procurer, d’où on le pourrait, des bois de construction et de l’argent, se mettre en sûreté du côté des alliés, tenir surtout l’Eubée en respect, et faire des réductions sur les dépenses intérieures. Il fut aussi résolu qu’on élirait un conseil de vieillards qui les premiers ouvriraient leur avis sur les affaires actuelles, comme l’exigeaient les circonstances. Enfin (car c’est ainsi que le peuple a coutume de faire) on était prêt, dans la terreur subite qui frappait les esprits, à mettre le bon ordre dans toutes les parties du gouvernement. Ce qu’on venait de résoudre, on le mit à exécution, et l’été finit.

II. L’hiver suivant[2], tous les courages furent exaltés dans la Grèce par le désastre affreux que les Athéniens venaient d’éprouver en Sicile. Ceux même qui n’étaient dans l’alliance de l’un ni de l’autre parti, croyaient ne devoir plus se dispenser de prendre les armes, sans y être même invités ; ils voulaient marcher volontairement contre Athènes, persuadés, chacun en particulier, que les armées de cette république seraient venues fondre sur eux si les affaires de Sicile avaient prospéré ; que d’ailleurs on verrait bientôt finir cette guerre, et qu’il serait beau d’y avoir eu quelque part. Les alliés des Lacédémoniens sentaient plus d’ardeur que jamais à terminer promptement les maux qu’ils enduraient ; mais surtout les sujets d’Athènes, même sans consulter leurs forces, étaient prêts à se soulever ; jugeant les choses d’après la passion qui les animait, ils se refusaient à toutes les raisons de croire qu’elle serait encore, l’année suivante, en état de se soutenir. Toutes ces circonstances inspiraient de l’audace à Lacédémone, et ce qui lui en donnait plus que tout le reste, c’est que, sans doute, elle allait voir, des le retour du printemps, s’unir à ses efforts les

    prisonniers, les reçurent honorablement dans leurs maisons et leur permirent enfin de retourner dans leur patrie. Ces captifs, dont le génie d’Euripide avait payé la rançon, se rendirent à la maison de leur bienfaiteur, et les larmes de leur reconnaissance furent le prix le plus flatteur qu’aucun favori des muses ait jamais pu remporter. (Plutarch. in Niciâ.)

  1. Dix-neuvième année de la guerre du Péloponnèse, quatrième année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cent treize ans avant l’ère vulgaire.
  2. Après le 13 octobre.