Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/27

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service, rendu à propos, fût-il même léger, est capable d’effacer une grande offense. Ne vous laissez pas entraîner par la jonction qui vous est offerte d’une marine respectable. Ne pas être injuste envers ses égaux, c’est bien mieux assurer sa puissance, qu’épris d’avantages manifestes pour le moment, ne satisfaire son ambition qu’au milieu des dangers.

XLIII. « Puisque nous sommes tombés sur ce que nous avons dit nous-même autrefois à Lacédémone, qu’il est permis à chacun de punir ses alliés, nous attendons de vous une réponse semblable. Favorisés par nos suffrages, ne nous lésez point par les vôtres. Rendez-nous la pareille, et songez que nous sommes à présent dans une circonstance où l’on n’a pas de plus grand ami que celui qui nous sert, où celui qui s’oppose à nos desseins est notre ennemi. Ne recevez pas malgré nous dans votre alliance ces brigands de Corcyre, et ne les protégez pas dans leurs injustices. Vous comporter ainsi, c’est vous acquitter d’un devoir, et consulter vos plus grands intérêts. »

Ce fut de cette manière que parlaient les Corinthiens.

XLIV. Les Athéniens ayant entendu les deux partis, se formèrent deux fois en assemblée. Ils penchèrent la première fois en faveur des Corinthiens ; mais ils changèrent d’avis la seconde. Il est vrai qu’ils ne jugèrent pas à propos de faire avec Corcyre un traité d’alliance offensive et défensive, par lequel ils auraient eu les mêmes amis et les mêmes ennemis : car les Corcyréens auraient pu les engager à faire partir de concert leur flotte contre Corinthe ; et c’eût été rompre le traité qu’ils avaient avec le Péloponnèse ; mais ils contractèrent réciproquement une alliance défensive contre ceux qui attaqueraient Corcyre, Athènes, ou quelqu’un de leurs alliés. Ils sentaient bien que, malgré ce ménagement, ils auraient la guerre avec le Péloponnèse ; mais ils ne voulaient pas abandonner aux Corinthiens Corcyre qui avait une marine si florissante ; et leur intention était d’engager de plus en plus ces peuples les uns contre les autres, pour trouver plus faibles les Corinthiens et les autres puissances maritimes du Péloponnèse, quand eux-mêmes auraient à les combattre. D’ailleurs, l'île de Corcyre leur paraissait commodément située sur la route de l’Italie et de la Sicile.

XLV. Tels furent les motifs qui engagèrent les Athéniens à recevoir les Corcyréens dans leur alliance, et quand la députation de Corinthe se fut retirée, ils ne tardèrent pas à leur faire passer un secours de dix vaisseaux. Ce fut Lacédémonius, fils de Cimon, Diotime, fils de Strombichus, et Protéas, fils d’Épiclès, qui en eurent le commandement. Ils eurent ordre de ne pas combattre les Corinthiens, à moins que ceux-ci ne se portassent contre Corcyre et ne fussent prêts à descendre dans cette île, ou dans quelque endroit qui en dépendît ; car ils devaient s’opposer de toutes leurs forces à de telles entreprises. L’objet de cet ordre était de ne pas rompre le traité. Les vaisseaux abordèrent à Corcyre.

XLVL Dès que les Corinthiens eurent terminé leurs préparatifs, ils s’y portèrent de leur côté avec cent cinquante vaisseaux. Il y en avait dix d’Élée, douze de Mégare, dix de Leucade, vingt-sept d’Ampracie, un d’Anactorium, et quatre-vingt-dix de Corinthe. Chaque ville avait nommé ses généraux : les Corinthiens en avaient cinq, dont le premier était Xénoclès, fils d’Euthyclés. Leur rendez-vous fut la côte qui regarde Corcyre : ils partirent de Leucade, et abordèrent à Chimérium dans Thesprotide. Il se trouve, dans la partie de la Thesprotide qu’on nomme Éléatis, un port, et au-dessus, à quelque distance de la mer, une ville qu’on appelle Éphyre. C’est près de là que se décharge dans la mer le lac Achérosien : le fleuve Achéron perd ses eaux dans ce lac, et lui donne son nom. Là coule aussi le fleuve Thyamis, qui sépare la Thesprotide de Cestrine, et c’est entre ces deux fleuves que s’élève le promontoire Chimérium : ce fut à cette partie du continent que les Corinthiens prirent terre, et qu’ils établirent leur camp.

XLVII. À la nouvelle de leur arrivée, les Corcyréens montèrent cent dix vaisseaux que commandaient Alidade, Æsiméde et Eurybate ; ils allèrent camper dans une des îles qui se nomment Sybota. Là vinrent aussi les dix vaisseaux d’Athènes. L’infanterie et mille auxiliaires de Zacynthe, pesamment armés, étaient sur le promontoire de Leucymne. Les Corinthiens avaient aussi de leur côté, sur le continent, un grand nombre de Barbares auxiliaires ; car ceux qui occupent cette partie de la terre ferme avaient été de tous temps amis de Corinthe.