XLVIII. Les Corinthiens, ayant fait toutes leurs dispositions, prirent des provisions pour trois jours, et quittèrent Chimérium pendant la nuit pour aller offrir aux ennemis le combat. Ils voguaient au lever de l’aurore, quand ils virent en haute mer s’avancer contre eux la flotte des Corcyréens. On ne se fut pas plus tôt aperçu des deux côtés, qu’on se mit en ordre de bataille. À l’aile droite des Corcyréens étaient les vaisseaux d’Athènes : les Corcyréens eux-mêmes composaient le reste de l’armée navale, partagée en trois corps, dont chacun était commandé par l’un des trois généraux. Telles étaient les dispositions des Corcyréens. L’aile droite des Corinthiens était formée des vaisseaux de Mégare et d’Ampracie ; au centre, étaient les alliés, chacun à leur rang ; les Corinthiens formaient l’aile gauche avec les vaisseaux qui voguaient le mieux. Ils étaient opposés aux Athéniens et à l’aile droite des Corcyréens.
XLIX. Les signaux furent levés de part et d’autre, et l’action commença. Les ponts des deux flottes étaient couverts d’hoplites, d’archers, de gens de trait. La tactique était conforme à l’ancien usage, et peu savante. Les combats de mer étaient violens, mais l’art y brillait moins que le courage : ils ressemblaient beaucoup aux combats de terre. L’affaire une fois engagée, le nombre et le désordre des vaisseaux ne permettaient pas de se détacher aisément : c’était dans les hoplites qui couvraient les ponts, que résidait surtout l’espérance de la victoire. On s’acharnait au combat, et les bâtimens ne manœuvraient plus. On ne reculait pas pour recommencer une nouvelle attaque ; mais on se chargeait avec plus de valeur et de force que de science. C’était un horrible tumulte, un trouble affreux.
Les vaisseaux d’Athènes, prêts à soutenir les Corcyréens, s’ils étaient trop vivement pressés, imposaient de la crainte aux ennemis ; mais les généraux n’attaquaient pas, intimidés par les ordres qu’ils avaient reçus. L’aile droite des Corinthiens fut celle qui souffrit davantage : vingt bâtimens de Corcyre la mirent en fuite, la dispersèrent, la poussèrent à la côte, allèrent jusqu’au camp, descendirent, brûlèrent les tentes abandonnées, et pillèrent la caisse.
De ce côté les Corinthiens et leurs alliés avaient le dessous et les Corcyréens étaient victorieux ; mais ils eurent à la gauche, où ils étaient eux-mêmes, un avantage considérable. Les Corcyréens, déjà inférieurs en nombre, avaient de moins les vingt navires qui n’étaient pas revenus de la poursuite : les Athéniens qui les virent pressés, leur donnèrent enfin du secours avec moins de crainte d’être blâmés. Ils s’étaient interdit jusqu’à ce moment de faire aucune attaque ; mais la flotte de Corcyre était mise en fuite, celle de Corinthe s’attendait à la poursuivre ; tout le monde alors prit part au combat ; il n’y eut plus de différence ; les Corinthiens et les Athéniens furent réduits à la nécessité de s’attaquer les uns les autres.
L. La fuite une fois décidée, les Corinthiens ne s’amusèrent pas à remorquer les vaisseaux qu’ils avaient mis hors de combat, mais ils se tournèrent contre les hommes, et parcoururent la flotte ennemie pour les massacrer plutôt que pour les faire prisonniers. Ils égorgeaient même leurs amis sans les connaître, ne sachant pas que leur aile droite avait été battue : depuis que les deux flottes s’étaient mêlées, comme elles étaient nombreuses, et qu’elles occupaient une grande étendue de mer, il était difficile de distinguer les vaincus et les vainqueurs.
Ce combat naval fut, par le nombre des bâtimens, le plus considérable que les Grecs eussent livré contre des Grecs. Après avoir poursuivi les Corcyréens jusqu’à la côte, les Corinthiens se mirent à recueillir les débris des vaisseaux et leurs morts. Ils en recouvrèrent la plus grande partie qu’ils transportèrent à Sybota, port désert de la Thesprotide, où une armée de Barbares était venue par terre leur apporter du secours. Ils se rallièrent ensuite, et firent voile de nouveau contre les Corcyréens. Ceux-ci vinrent à leur rencontre avec ce qui leur restait de vaisseaux en état de tenir la mer et les bâtimens athéniens : ils craignaient qu’ils ne tentassent une descente dans leur île. Il était déjà tard ; et l’on commençait à chanter pæan[1] pour se préparer à charger, quand aussitôt les Corinthiens se mirent à ramer du côté de la poupe[2]. C’est qu’ils voyaient s’avancer vingt na-