Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/272

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transporterait dans la suite. Car, de ce côté, ils ne cherchaient pas à tenir leur navigation secrète, pénétrés de mépris pour l’impuissance d’Athènes, dont la marine ne se montrait en force nulle part. Cette résolution fut suivie, et l’on transporta sur-le-champ vingt-un vaisseaux.

IX. On pressait le départ ; mais les Corinthiens refusèrent de partager l’entreprise avant d’avoir célébré les jeux isthmiques qui tombaient dans cette circonstance. Agis ne s’opposa pas à leur laisser respecter la trêve qui devait durer autant que la solennité de cette féte ; mais il voulait que l’expédition de la flotte se fît sous son nom. Ils n’y consentirent pas ; l’affaire traîna en longueur, et c’est ce qui donna le temps aux Athéniens d’être mieux informés de la défection de Chio. Ils envoyèrent Aristocrate, l’un de leurs généraux, en porter leurs plaintes dans cette île. Les habitans nièrent le fait ; et comme alliés, ils reçurent ordre d’envoyer des vaisseaux pour gages de leur fidélité ; ils en firent partir sept. La raison de cet envoi, c’était que le grand nombre ne savait rien de ce qui se tramait, que les chefs, qui étaient dans le secret, ne voulaient pas se faire un ennemi du peuple avant d’avoir pris leurs sûretés, et qu’ils ne s’attendaient plus à voir arriver les Péloponnésiens qui tardaient à se montrer.

X. Cependant se célébraient les jeux isthmiques. Ils furent annoncés aux Athéniens, qui se rendirent à ce spectacle religieux. Ce fut alors qu’ils découvrirent plus clairement les projets des habitans de Chio. Aussitôt après leur retour, ils prirent des mesures pour que la flotte de Corinthe ne pût, à leur insu, partir de Cenchrées. Cette flotte, après la solennité, cingla pour Chio au nombre de vingt-une voiles. Alcamène la commandait. Les Athéniens mirent eux-mêmes en mer, vinrent à sa rencontre avec le même nombre de vaisseaux, et cherchèrent à l’amener en haute mer. Mais, comme il se passa bien du temps sans que les Péloponnésiens s’y laissassent attirer, et que même ils se retirèrent, les Athéniens firent aussi leur retraite ; car ils ne se fiaient pas aux navires de Chio qui faisaient partie de leur flotte. Ils en appareillèrent ensuite une autre de trente-sept voiles, atteignirent les ennemis qui naviguaient en côtoyant, et les poursuivirent jusqu’au Pirée, dans la campagne de Corinthe : c’est un port abandonné, qui termine cette campagne du côté de l’Épidaurie. Les Péloponnésiens perdirent un vaisseau qui était au large, rallièrent les autres, et prirent terre. Les Athéniens, du côté de la mer, attaquèrent les vaisseaux, et firent en même temps une descente. Ils plongèrent les ennemis dans l’agitation et le désordre, brisèrent sur le rivage la plus grande partie des bâtimens, et tuèrent le commandant Alcamène. Eux-mêmes perdirent quelques-uns de leurs gens.

XI. Ils se séparèrent, laissèrent une quantité de vaisseaux suffisante pour tenir en respect ceux des ennemis, et gagnèrent avec le reste un îlot qui n’était pas éloigné. Ils y campèrent et envoyèrent à Athènes demander du renfort ; car on vit arriver le lendemain, pour donner du secours à la flotte du Péloponnèse, d’abord les Corinthiens, et peu après, les peuples du voisinage. Mais quand ils eurent reconnu la difficulté de la défendre dans une contrée déserte, ils tombèrent dans la perplexité. Leur première idée fut d’y mettre le feu ; ils prirent ensuite le parti de la tirer à sec, et de poster en avant leurs troupes de terre pour la tenir sous leur garde, jusqu’à ce qu’il s’offrît quelque moyen de se sauver. Agis fut informé de leur situation, et leur envoya un Spartiate nommé Thermon. On avait d’abord annoncé à Lacédémone que la flotte était partie de l’isthme ; car Alcamène avait reçu l’ordre des éphores d’y envoyer, au moment du départ, cette nouvelle par un cavalier. Les Lacédémoniens avaient voulu expédier aussitôt les cinq vaisseaux qui étaient chez eux, avec le commandant Chalcidée que devait accompagner Alcibiade. Ils se pressaient d’exécuter ce dessein, quand ils apprirent que la flotte avait été forcée de se réfugier dans le Pirée. Consternés de voir si mal commencer l’expédition d’Ionie, ils renoncèrent à faire partir les vaisseaux qui devaient sortir de leur port, et en rappelèrent même quelques-uns qui déjà étaient en mer.

XII. Alcibiade, instruit de ces mesures, fit de nouveau consentir Endius et les autres éphores à ne pas différer l’expédition. Il leur représenta qu’on arriverait à Chio avant qu’il pût y parvenir aucune nouvelle de l’échec qu’avait éprouvé la flotte ; que lui-même abordant en Ionie, et faisant la peinture de la faiblesse d’Athènes et du zèle de Lacédémone, détermine-