battre sur mer. Il leur disait que la flotte phénicienne ne tarderait pas à venir, et qu’alors ils auraient dans les combats une supériorité décidée. Il ruina leurs affaires, détruisit la force de leur marine, qui était devenue très puissante, et agit d’ailleurs trop ouvertement pour qu’ils pussent ne pas reconnaître sa mauvaise volonté.
XLVII. Tels étaient les conseils que donnait Alcibiade à Tissapherne et au roi quand il était auprès d’eux, croyant qu’il ne pouvait en donner de meilleurs. Il travaillait en même temps à son retour dans sa patrie, certain que, s’il ne la détruisait pas, il ne tiendrait qu’à lui de persuader un jour aux Athéniens de le rappeler, et il croyait que le meilleur moyen de les y déterminer, c’était de leur faire voir qu’il était l’ami de Tissapherne. C’est ce qui arriva. Les guerriers athéniens de Samos, apprenant qu’il jouissait d’un grand crédit auprès de ce satrape, s’empressèrent de ruiner l’état populaire. Ces dispositions venaient en partie des paroles qu’il faisait porter aux triérarques et aux plus puissans d’entre eux, les priant de faire entendre aux plus honnêtes gens de la république que, s’il voulait rentrer dans son pays, c’était pour y établir l’autorité du petit nombre, et non pour y soutenir le pouvoir des méchans, ni celle du peuple qui l’avait chassé : il leur faisait assurer que son dessein était de leur concilier l’amitié de Tissapherne et de partager avec eux le fardeau des affaires ; mais ce qui les déterminait surtout, c’est qu’ils avaient d’avance les mêmes vues.
XLVIII. D’abord ce projet se débattit dans l’armée, d’où il passa dans la ville. Quelques personnes allèrent de Samos conférer avec Alcibiade. Il protesta qu’il leur concilierait d’abord l’amitié de Tissapherne, et du roi, s’ils voulaient renoncer au gouvernement populaire ; car c’était le grand moyen de gagner la confiance du prince. Les citoyens les plus considérables, et c’était ceux qui avaient le plus à souffrir, conçurent de grandes espérances de prendre le maniement des affaires, et de l’emporter sur les ennemis. De retour à Samos, ils firent entrer dans leur conjuration les hommes qu’ils regardaient comme les plus disposés à la servir, et déclarèrent ouvertement au gros de l’armée qu’ils auraient le roi pour ami, et qu’il leur fournirait de l’argent, pourvu qu’Acibiade rentrât dans son pays, et qu’on ne restât pas sous l’état populaire. Quoique la multitude ne vît pas sans chagrin ce qui se passait, elle resta tranquille, dans l’espérance que le roi lui paierait un subside.
Après avoir fait au peuple cette confidence, ceux qui voulaient établir l’oligarchie examinèrent entre eux de nouveau, et avec le plus grand nombre de leurs amis, les desseins d’Alcibiade. Ils leur semblaient à tous d’une exécution facile, et ils croyaient pouvoir y prendre confiance. Il n’y avait que Phrynicus, alors général, à qui tout cela déplaisait. Il croyait, et c’était la vérité, qu’Alcibiade ne voulait pas plus de l’oligarchie que de la démocratie, et qu’il n’avait d’autre vue, en changeant la constitution de l’état, que de tirer parti des circonstances, pour se faire rappeler par ses amis. On devait, suivant lui, prendre garde surtout à ne pas se livrer à la dissension pour l’amour du roi. Il représentait que les Lacédémoniens étaient devenus sur mer les égaux des Athéniens, qu’ils avaient des villes considérables sous la domination de ce prince, et qu’il était absurde d’imaginer qu’il se donnât de l’embarras en s’unissant aux Athéniens, dont il se défiait, tandis qu’il avait à sa disposition l’amitié des Péloponnésiens, dont il n’avait aucun sujet de se plaindre. A l’égard des villes alliées à qui l’on promettait l’oligarchie, quand les Athéniens eux-mêmes ne vivraient plus sous le gouvernement populaire, il se disait bien certain que celles qui s’étaient soulevées, n’en reviendraient pas davantage à leur alliance, et que celles qui s’y trouvaient encore, n’en seraient pas moins remuantes ; qu’elles ne préféreraient pas la servitude sous un état gouverné par l’oligarchie ou par la démocratie, à la liberté sous un état qui suivrait l’un ou l’autre régime ; qu’elles penseraient que ceux qu’on appelait les honnêtes gens[1] ne leur donneraient pas moins d’affaires que le peuple, puisque c’étaient eux qui suscitaient le peuple au mal, et qui l’y servaient de guides pour en tirer eux-mêmes le profit ; qu’on ne gagnerait autre chose à cette révolution, que d’être mis à mort avec plus de violence, et sans forme de procès, au lien qu’on trouvait un refuge auprès du peuple qui tempérait la méchanceté des autres ; qu’il savait avec
- ↑ Ceux que nous appelons en français les honnêtes gens, s’appelaient à Athènes les beaux et bons, kaloi k’agathoi