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Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/294

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rances qu’ils avaient conçues. Dans son discours plein de jactance, il faisait les plus grandes promesses : Tissapherne l’avait assuré que, s’il pouvait se fier aux Athéniens, tant qu’il lui resterait quelque chose, dût-il même faire argent de son lit, le subside ne leur manquerait jamais ; et qu’au lieu de faire passer aux Péloponnésiens les vaisseaux de Phœnicie, ce serait à eux qu’il procurerait ce renfort ; mais qu’il ne prendrait en eux confiance qu’après qu’Alcibiade, à son retour, lui aurait donné sa foi qu’il pouvait compter sur eux.

LXXXII. Sur ces belles paroles et beaucoup d’autres encore qu’il ajouta, on l’élut aussitôt général avec ceux qui avaient déjà le commandement, et on lui donna la conduite de toutes les affaires. On se croyait si bien sauvé, on était si sûr de se venger des quatre-cents, que personne n’aurait voulu donner pour tout au monde ses espérances. Déjà, d’après ce qu’ils venaient d’entendre, tous se montraient prêts à cingler aussitôt vers le Pirée, au mépris des ennemis qu’ils avaient en présence. Mais Alcibiade, quoique bien des gens le pressassent, ne permit pas de se livrer à ce dessein, en laissant les ennemis qu’on avait plus près de soi. Il dit que puisqu’il venait d’être élu général, il allait d’abord régler avec Tissapherne les affaires de la guerre ; et en effet il partit dès que l’assemblée fut séparée. Il voulait paraître tout communiquer à ce satrape, se donner auprès de lui plus d’importance, lui montrer qu’il était revêtu du généralat, et qu’il était en état de le servir et de lui nuire. Il réussit par cette conduite à faire peur aux Athéniens de Tissapherne, et à Tissapherne des Athéniens.

LXXXIII. Quand les Péloponnésiens de Milet apprirent le rappel d’Alcibiade, ils furent encore bien plus indisposés que jamais contre Tissapherne, en qui, dès auparavant, ils n’avaient pas de confiance. Il était devenu bien plus négligent à leur payer le subside, depuis qu’ils n’avaient pas voulu se présenter contre les Athéniens et les combattre, quand ceux-ci s’étaient montrés à la vue de Milet, et les manœuvres d’Alcibiade l’avaient déjà rendu pour eux un objet de haine. Les soldats s’assemblaient entre eux et continuaient de tenir les mêmes propos qu’ils s’étaient déjà permis ; mais ce n’était pas seulement les soldats, c’était même des hommes dignes de considération qui se plaignaient de ne pas recevoir leur solde entière, de ne jouir que d’un faible traitement, et de n’être pas même constamment payés. Ils ajoutaient qu’à moins de donner un combat, ou d’aller quelque part d’où l’on pût tirer des subsistances, il faudrait déserter la flotte. On rejetait tout sur Astyochus qui, pour son intérêt particulier, se rendait le complaisant de Tissapherne.

LXXXIV. Comme on se livrait à ces propos, il se fit un grand mouvement contre Astyochus. Plus les matelots de Syracuse et de Thurium avaient de liberté, et plus ils étaient pressans et montraient d’audace à demander leur paye. Ce général mit de la hauteur dans sa réponse ; il menaça même Doriée qui joignait ses réclamations à celles des matelots qu’il commandait, et il en vint jusqu’à lever sur lui la canne. À ce geste, les soldats, violens comme des gens de mer, accoururent, en criant, pour se jeter sur lui. Il prévit le danger et se réfugia près d’un autel. Il ne reçut aucun mal, et les soldats se séparèrent. Mais les Milésiens attaquèrent par surprise un château que Tissapherne avait fait bâtir à Milet, le prirent et en chassèrent la garnison. Cette voie de fait eut l’agrément des alliés, et surtout des Syracusains. Lichas était seul mécontent de leur conduite : il disait que les Milésiens, et tous ceux qui étaient dans le pays du roi, devaient obéir à Tissapherne, tant qu’il ne donnait que des ordres modérés, et lui montrer de la complaisance jusqu’à ce qu’ils se fussent mis en état de bien faire la guerre. Cela, joint à d’autres choses semblables, irrita contre lui les Milésiens, et quand, dans la suite, il mourut de maladie, ils ne le laissèrent pas inhumer dans l’endroit que les Lacédémoniens qui se trouvaient près de lui, marquaient pour sa sépulture.

LXXXV. Pendant qu’irrités contre Astyochus et Tissapherne, les Péloponnésiens s’accordaient si mal dans la conduite des affaires, Mindarus vint de Lacédémone succéder à Astyochus dans le commandement de la flotte. Il en prit possession et Astyochus se retira. Tissapherne fit partir avec lui, en qualité d’ambassadeur, un des hommes qu’il avait auprès de sa personne : c’était un Carien nommé Gaulitès, qui savait les deux langues. Il était chargé de se plaindre de l’entreprise des Milésiens sur le château et de