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Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/295

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justifier Tissapherne. il savait que les Milésiens étaient en chemin pour aller surtout déclamer contre lui ; qu’Hermocrate, qui lui en voulait toujours pour l’affaire de la solde, était avec eux, et qu’il ne manquerait pas de faire entendre que Tissapherne était un homme double, qui ruinait, avec Alcibiade, les affaires du Péloponnèse. Enfin quand Hermocrate fut banni de Syracuse, et que d’autres Syracusains, Potamis, Myscon et Démarchus, furent venus à Milet prendre le commandement de la flotte, Tissapherne le poursuivit avec plus d’acharnement dans son exil ; il porta contre lui différentes accusations, et le chargea de n’être devenu son ennemi que sur le refus d’une somme d’argent qu’il lui avait demandée. Ce fut ainsi qu’Astyochus, les Milésiens et Hermocrate passèrent à Lacédémone, et qu’Alcibiade se sépara de Tissapherne et revint à Samos.

LXXXVI. Les députés que les quatre-cents avaient expédiés pour apaiser l’armée de Samos et lui donner des éclaircissemens sur leur conduite, arrivèrent lorsque Alcibiade y était déjà. Une assemblée fut convoquée, ils voulaient y prendre la parole ; mais les soldats refusèrent d’abord de les entendre, criant qu’il fallait donner la mort aux destructeurs de la démocratie. Enfin cependant ils se calmèrent, quoique avec peine, et les écoutèrent. Les députés exposèrent que la révolution n’avait pas eu pour objet de perdre la république, mais de la sauver ; que cet objet n’était pas non plus de la livrer aux ennemis, puisque ayant déjà le pouvoir en mains, on l’aurait fait dès le temps de leur invasion sur le territoire ; que tous ceux qui faisaient partie des cinq-mille parviendraient aux charges à leur tour ; qu’il était faux que les parens des guerriers de Samos fussent exposés à des avanies, comme l’avait calomnieusement avancé Chabrias ; qu’il ne leur était fait aucun mal, et que chacun d’eux restait paisiblement dans la jouissance de ses biens. Ils ajoutérent beaucoup d’autres choses, sans pouvoir se faire entendre plus favorablement des soldats, qu’ils ne faisaient qu’irriter. On ouvrit des avis différens, celui surtout d’aller au Pirée. On peut regarder Alcibiade comme celui qui, dans cette conjoncture, rendit le plus grand service à la république. Au milieu de ces emportemens des Athéniens de Samos, empressés de s’embarquer pour tourner leurs armes contre eux-mêmes, ce qui sans doute était livrer à l’instant aux ennemis l’Ionie et l’Hellespont, personne autre que lui n’était en état de contenir cette multitude : il la fit renoncer à l’embarquement, et en imposa, par ses reproches, à ceux qui montraient une indignation particulière contre les députés. Ce fut lui-même qui fit la réponse. Il dit, en les congédiant, qu’il ne s’opposerait pas à l’autorité des cinq-mille ; mais il ordonna de déposer les quatre-cents et de rétablir le conseil des cinq-cents comme par le passé ; ajoutant que si l’on avait fait quelque retranchement sur la dépense pour augmenter la solde des troupes, c’était une économie qu’il ne pouvait trop louer. Il les engagea d’ailleurs à résister puissamment aux ennemis et à ne se relâcher en rien, assurant que, la république une fois sauvée, on avait toute espérance de s’accorder ensemble ; mais que si l’un des deux partis venait à succomber, celui d’Athènes ou de Samos, il ne resterait plus personne avec qui se réconcilier.

Il se trouvait aussi dans l’assemblée des députés d’Argos : ils venaient offrir au parti populaire d’Athênes qui se trouvait à Samos l’assistance de leur pays. Alcibiade les combla d’éloges, les pria de se tenir prêts à partir quand ils seraient mandés, et les congédia. Ils étaient venus avec ces soldats de marine du Paralus, qui avaient été embarqués par les quatre-cents sur un vaisseau de guerre ; leur ordre portait de croiser autour de l’Eubée, et de conduire à Lacédémone les députés qu’y faisait passer cette faction, Læspodius, Aristophon et Milésias. Mais ces troupes, arrivées à la hauteur d’Argos, se saisirent des députés et les livrèrent aux Argiens, comme étant du nombre de ceux qui avaient eu le plus de part à la destruction du gouvernement populaire. Eux-mêmes ne retournèrent point à Athènes ; mais ils se chargèrent des députés argiens, et vinrent avec leur trirême à Samos.

LXXXVII. Dans le même été[1], et dans le temps même que, pour plusieurs raisons et surtout à cause du rappel d’Alcibiade, les Péloponnésiens étaient le plus irrités contre Tissapherne, le regardant comme un fauteur des Athéniens, il prit le parti, sans doute pour dé-

  1. Au commencement d’avril.