Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/30

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combat environ soixante-dix navires ; ils se crurent en droit d’ériger un trophée. Les Corcyréens avaient détruit bien près de trente vaisseaux ennemis, et depuis l’arrivée des Athéniens, ils avaient rassemblé les débris de leurs bâtimens et recueilli leurs morts ; la veille, les Corinthiens, à la vue des vaisseaux d’Athènes, avaient ramé à la poupe, et s’étaient retirés ; quand ensuite les Corcyréens s’étaient présentés, ils n’étaient pas venus à leur rencontre, voilà pourquoi ils élevèrent un trophée. Ce fut ainsi que chaque parti s’attribua la victoire.

LV. Les Corinthiens, sur leur route, enlevèrent par surprise Anactorium, à l’entrée du golfe d’Ambracie. Il leur appartenait en commun avec les Corcyréens. Ils y laissèrent une colonie corinthienne et retournèrent chez eux. ils vendirent huit cents Corcyréens de condition servile, et gardèrent prisonniers deux cent cinquante citoyens, dont ils eurent grand soin, dans l’espérance que, rentrés dans leur patrie, ils pourraient la leur soumettre, car la plupart étaient par leurs richesses des premiers de la ville. Ce fut ainsi que, dans cette guerre avec les Corinthiens, Corcyre évita sa ruine. Les vaisseaux d’Athènes se retirèrent. Ainsi la première cause de la guerre entre les Corinthiens et les Athiéniens, ce fut que les derniers, unis à la flotte de Corcyre, avaient exercé des hostilités contre celle de Corinthe, malgré la foi des traités.

LVI. Aussitôt après, s’élevèrent entre les Athéniens et les Péloponnésiens des différends qui entraînèrent la rupture. Les Corinthiens travaillaient à se venger, et les Athéniens ne doutaient pas de leur haine. Ils avaient pour tributaires et pour alliés les citoyens de Potidée, qui est une colonie de Corinthe sur l’isthme de Pallène. Ils leur ordonnèrent de détruire celui de leurs murs qui regarde Pallène, de leur donner des otages, de chasser les demiurges[1] que Corinthe leur envoyait tous les ans, et de n’en plus recevoir. Ils craignaient de les voir se soulever à la sollicitation de Perdiccas et des Corinthiens, et entraîner par cet exemple leurs autres alliés de la Thrace.

LVII. Ce fut aussitôt après le combat naval de Corcyre qu’ils prirent ces résolutions contre Potidée ; car les Corinthiens ne dissimulaient pas leur ressentiment, et Perdiccas, fils d’Alexandre, roi de Macédoine, auparavant allié et ami d’Athènes, se déclarait contre cette république. La cause de son inimitié, c’est que les Athéniens avaient contracté une alliance avec Philippe son frère, et avec Derdas, qui lui faisaient la guerre en commun. C’est ce qui lui fit ouvrir des négociations à Lacédémone, pour susciter contre eux le Péloponnèse, et il s’attachait les Corinthiens dans le dessein d’opérer la défection de Potidée. Il fit aussi porter des paroles dans la Thrace aux habitans de la Chalcidique et chez les Bottiéens, pour les engager à un soulèvement. S’il avait une fois dans son alliance ces pays voisins de sa domination, il devait trouver moins de difficulté dans la guerre qu’il méditait contre Athènes.

Cette république dépêchait alors contre ce prince trente vaisseaux et mille hoplites sous les ordres d’Archestrate, fils de Lycomède, et de dix autres généraux. Sur la connaissance de ses dispositions, et dans le dessein de prévenir le soulèvement des villes, on donna ordre aux commandans de ces vaisseaux d’exiger de Potidée des otages, de raser les fortifications de cette place, et de surveiller les villes voisines, pour en empêcher la défection.

LVIII. Ceux de Potidée envoyèrent une députation à Athènes ; ils voulaient essayer d’obtenir qu’on ne fît aucun changement à leur égard. Ils allèrent aussi à Lacédémone, avec des députés de Corinthe, négocier des secours en cas de besoin. Comme après un long séjour à Athènes ils n’y trouvèrent aucune disposition favorable, que déjà la flotte mettait en mer pour agir contre eux et contre la Macédoine, et que les magistrats de Lacédémone leur faisaient espérer une invasion dans l’Attique si les Athéniens attaquaient Potidée, ils saisirent cette occasion pour s’unir par serment avec les peuples de la Chalcidique et les Bottiéens, et se détacher ensemble d’Athènes.

De son côté, Perdiccas sut persuader à ceux des Chalcidiens qui occupaient des villes maritimes, de les abandonner, de les détruire, et de s’établir à Olynthe, leur faisant entendre qu’ils seraient en sûreté dans cette place lorsqu’ils n’en auraient pas d’autres à défendre. Il assigna, pour tout le temps de la guerre contre Athènes,

  1. Il y a dans le texte les epidemiurges. Les demiurges formaient dans les républiques doriennes cette magistrature supérieure que composaient les archontes dans d’autres républiques.