Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/313

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cusé d’être un sacrilége profanateur, il voulait être jugé sans délai ; ses adversaires ont ajourné une demande qui paraissait juste, et l’ont exilé absent. Asservi par la nécessité, exposé chaque jour à périr, voyant dans le malheur et ses amis les plus intimes, et ses proches, et tous ses concitoyens, sans pouvoir les aider à cause de son bannissement, n’a-t-il pas été contraint de se jeter dans les bras de ses plus cruels ennemis ! Un personnage tel que lui avait-il besoin d’innover, de changer la forme du gouvernement, lorsque la bienveillance du peuple le plaçait au dessus de ceux de son âge, en l’égalant à ses anciens ; lorsque ses ennemis, toujours semblables à eux-mêmes, venaient tout récemment d’employer leur puissance à la perte des gens de bien ? Restes seuls, si on les a supportés, n’est ce pas la faute de citoyens honnêtes que l’on pût appeler au gouvernement ?

Selon d’autres, il était seul cause de tous les malheurs passés, lui seul pourrait bien, chef ambitieux, attirer sur sa patrie les maux qui la menaçaient. Arrivé au port, Alcibiade, qui appréhendait ses ennemis, ne descendit pas tout de suite de sa galère ; mais, debout sur le tillac, ses yeux cherchaient ses amis dans la foule. Il aperçoit son cousin Euryptolème, fils de Pisianax, ses autres parens et amis, met pied à terre, monte a la ville, escorté d’hommes bien déterminés à s’opposer à tout acte de violence, se défend en présence du sénat et du peuple : il n’est point un profanateur, c’est injustement qu’on l’accuse ; parle dans ce sens, et n’est point contredit, parce que l’assemblée ne l’eût jamais souffert : bientôt il est proclamé généralissime avec pouvoir absolu, comme seul capable de rétablir la république dans son ancienne splendeur. Depuis la prise de Décélie, la procession qui allait d’Athènes à Éleusis célébrer les grands mystères avait lieu par mer ; il voulut qu’elle se fît par terre, et il l’escorta de toutes ses troupes. Il leva ensuite une armée de quinze cents hoplites et de cent cinquante chevaux, sans parler de cent vaisseaux qu’il équipa, et trois mois après son retour, fit voile vers Andros, qui avait secoué le joug de la domination athénienne. On lui donna pour adjoints Aristocrate et Adimante, fils de Leucorophide, tous deux élus généraux des troupes de terre. Il débarqua à Gaurium, dans l’île d’Andros. Les Andriens s’opposaient à sa descente. il les poursuivit, les renferma dans leur ville, en tua quelques-uns, et avec eux, ce qui s’y trouva de Lacédémoniens, et dressa un trophée. Après un court séjour, il se rendit à Samos, d’où il commença la guerre.


CHAPITRE V.


Peu de temps avant qu’Alcibiade partît d’Athènes, les pouvoirs de Cratésippidas étaient expirés ; les Lacédémoniens avaient confié le commandement de la flotte à Lysandre. Arrivé à Rhodes, celui-ci grossit sa flotte, et de là, fit voile à Cos, à Milet, puis à Éphèse, où il s’arréta jusqu’à l’arrivée de Cyrus, qu’il joignit à Sardes, accompagné des ambassadeurs lacédémoniens. Après lui avoir expose les torts de Tissapherne, ils le prièrent de les seconder de tout son pouvoir.

Cyrus répondit qu’il en avait l’ordre du roi, qu’il n’avait pas lui-même d’intention contraire ; qu’il ne négligerait rien, qu’il venait avec cinq cents talens ; que quand les fonds lui manqueraient, il s’aiderait de ceux que son père lui avait donnés en particulier ; et si c’était peu, il mettrait en pièces même le trône sur lequel il siégeait ; ce trône était d’or et d’argent. Après l’avoir loué de son zèle généreux, ils le prièrent d’assigner une drachme attique à chaque matelot ; ils lui représentaient qu’en accordant ce salaire, les matelots athéniens abandonneraient leurs vaisseaux, et qu’il diminuerait ainsi sa dépense. « Vous avez raison, leur répliqua Cyrus ; mais il m’est impossible de m’écarter des ordres du roi ; le traité porte qu’on fournira trente mines par mois, pour chaque vaisseau que les Lacédémoniens voudront entretenir. » À ce mot, Lysandre se tut ; mais à la fin du repas, Cyrus, lui portant une santé, lui demanda en quoi il pourrait l’obliger. « C’est, lui répondit-il, en augmentant d’une obole par jour la paye de chaque matelot. » ils eurent dès lors quatre oboles, au lieu de trois qu’ils recevaient auparavant. Il leur paya de plus l’arriéré et un mois d’avance ; ce qui redoublait l’ardeur des soldats.

Les Athéniens, que cette nouvelle décourageait, dépéchèrent, par l’entremise de Tissapherne, des ambassadeurs à Cyrus. Ce prince ne les admit pas à son audience, quoique le satrape l’en sollicitât, et l’invitât, d’après l’avis