Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/314

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d’Alcibiade, à prendre garde qu’aucun peuple de la Grèce n’acquît de la prépondérance ; qu’il lui importait qu’ils restassent affaiblis par leurs propres dissensions.

Lysandre, après avoir rassemblé à Éphèse sa flotte de quatre-vingt-dix vaisseaux, les mit à sec pour les radouber et reposer l’équipage. Mais Alcibiade, sur la nouvelle que Thrasybule, sorti de l’Hellespont, fortifiait la ville de Phocée, l’alla trouver, après avoir laissé le commandement de la flotte à son vice-amiral Antiochus, avec défense d’attaquer Lysandre. Au mépris de l’ordre, Antiochus part avec sa galère et une autre de Notium, arrive au port d’Éphèse et rase les proues de celles de Lysandre, qui d’abord ne mit à sa poursuite que peu de vaisseaux ; mais bientôt le général lacédémonien en voit un plus grand nombre venir au secours d’Antiochus ; il met toute sa flotte à la voile, et la range en bataille. Les Athéniens alors voguèrent contre l’ennemi, soutenus des galères de Notium, qui arrivèrent en désordre. Il y eut donc combat naval ; les Lacédémoniens conservèrent leurs rangs. Les Athéniens, qui avaient leurs trirèmes éparses, en perdirent quinze et prirent la fuite ; la plupart de ceux qui les montaient se sauva ; le reste fut pris. Lysandre, après avoir dressé un trophée à Notium, se retira à Éphèse, avec les vaisseaux qu’il avait conquis, et les Athéniens à Samos.

Alcibiade se rend aussi à Samos, fait voile avec toute sa flotte vers le port d’Éphèse, et la range devant l’embouchure du port, prêt, si l’on voulait, à livrer bataille ; mais voyant que Lysandre ne sortait pas se sentant le plus faible, il retourna à Samos. Peu de temps après, les Lacédémoniens s’emparèrent de Delphinion et d’Éione.

Bientôt la nouvelle du combat naval est portée dans Athènes ; on s’indigne contre Alcibiade, on impute la perte des vaisseaux à sa négligence et à ses débauches : on élit dix autres généraux, Conon, Diomédon, Léon, Périclès, Érasinide, Aristocrate, Archestrate, Protomachus, Thrasyle, Aristogène. Alcibiade, voyant aussi que l’armée murmurait contre lui, se retira avec une seule galère, dans la Chersonèse ou il possédait un château.

Conon alla d’Andros à Samos, avec vingt vaisseaux, prendre le commandement de la flotte qu’un décret lui déférait. A sa place, Phanosthène partit pour Andros avec quatre vaisseaux, et rencontra deux galères thuriennes qu’il prit avec les matelots, que les Athéniens chargèrent tous de chaînes, à l’exception de Doriée, leur chef. Ce Rhodien, depuis long-temps fuyant son pays et Athènes, qui l’avait condamné à mort, lui et tous ses parens, jouissait chez les Thuriens du droit de cité : son sort intéressa ; on le congédia même sans rançon.

Conon, arrivé a Samos, trouva la flotte découragée : de plus de cent galères qu’elle avait, il n’en compléta que soixante-dix ; et, se mettant en mer avec les autres généraux, il fit diverses excursions dans le pays ennemi qu’il ravagea. Ainsi finit la même année où les Carthaginois descendirent en Sicile avec une flotte de cent vingt galères, et une armée de terre de cent vingt mille combattans, où vaincus d’abord, ils prirent Agrigente par famine, après un siège obstiné de sept mois.


CHAPITRE VI.


L’année suivante, que signalèrent une éclipse de lune sur le soir, et l’incendie du temple antique de Minerve dans Athênes, les Lacédémoniens envoyèrent Callicratidas pour succéder à Lysandre, dont les pouvoirs venaient d’expirer : c’était sous l’éphorat de Pitias, et sous l’archontat de Callias, à l’époque de la vingt-quatrième année de la guerre.

Lysandre, en remettant la flotte, dit à Callicratidas qu’il la lui remettait comme dominateur de la mer, et vainqueur dans un combat naval. « Partez donc d’Éphése, rasez la côte gauche de Samos, où sont les vaisseaux athéniens, livrez-moi la flotte de Sparte à Milet, alors je vous reconnaitrai souverain des mers. — Je ne me mêle plus des affaires, lui répliqua Lysandre, un autre est chargé du commandement. » Callicratidas, après avoir reçu la flotte des mains de Lysandre, la renforça de cinquante vaisseaux, que ceux de Chio, de Rhodes et d’autres alliés lui fournirent. Dès qu’il les eut tous rassemblés au nombre de cent quarante, il se prépara à marcher à la rencontre des Athéniens ; mais il observa que les partisans de Lysandre n’obéissaient qu’à regret, qu’ils allaient publiant que les Lacédémoniens se perdraient à changer continuellement leurs généraux contre d’ineptes intrigans, mal instruits dans la marine, et ne sachant point