Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/329

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entré de nuit au Pirée. Les Trente, instruits de l’invasion, accourent avec la troupe lacédémonienne, leur cavalerie et leurs hoplites, et prennent le grand chemin du Pirée. Ceux de Phyle, qui étaient maîtres du Pirée, trouvant, à raison de leur petit nombre, le cercle de défense beaucoup trop étendu, se resserrèrent sur la colline Munychie, après avoir inutilement tenté de les arrêter au passage.

Ceux de la ville s’étant avancés jusque dans l’Hippodamée, se rangèrent en bataille, de sorte qu’ils remplissaient toute la largeur du chemin qui va au temple de Diane Munychienne, et à celui de Diane Bendidée. Ils n’avaient pas moins de cinquante voies de hauteur. Ainsi rangés, ils gagnaient les éminences. La troupe de Thrasybule remplissant aussi le chemin, n’avait pas plus de dix hoplites de hauteur ; mais ils étaient soutenus par des péltophores et des psiles, suivis de pétroboles en grand nombre, qui venaient de ce lieu même grossir leur parti. Comme l’ennemi marchait contre lui, Thrasybule commanda à ses soldats de mettre bas leurs boucliers ; il en fit autant, en conservant cependant ses autres armes ; et se plaçant au centre, il leur adressa ce discours :

« Citoyens, il faut que je vous apprenne ou vous rappelle que parmi les ennemis qui s’avancent, vous avez vaincu et poursuivi ceux qui occupent l’aile droite. Quant aux derniers de l’aile gauche, ce sont ces trente tyrans qui nous ont exclus d’Athènes quoique innocens, qui nous ont chassés de nos maisons, qui ont proscrit nos meilleurs amis ; mais les voilà maintenant dans une position où ils ne croyaient jamais se trouver, et où nous désirions toujours qu’ils fussent.

« Nous nous montrons en armes à des tyrans qui faisaient mettre la main sur nous pendant nos repas, pendant notre sommeil, dans la place publique, qui condamnaient à l’exil des hommes, je ne dis pas innocens, mais absens de leurs foyers. Vengeurs de ces forfaits, les dieux aujourd’hui combattent évidemment pour nous : quand notre intérêt le demande, ils nous envoient des frimas dans un temps serein ; lorsque avec peu de monde nous attaquons de nombreux ennemis, ils nous donnent la victoire.

« A présent encore ils nous conduisent dans un poste où, forcés de monter pour venir à nous, nos adversaires ne pourront nous blesser que du front de leur bataille, tandis que les pierres et les traits que nous lancerons, iront les chercher et les percer jusque dans les derniers rangs.

« Et qu’on ne s’imagine pas que du moins la tête de leurs troupes puisse combattre avec un avantage égal. Vous les voyez entassés dans le chemin ; attaquez-les aussi vivement que vous le devez, aucun de vos coups ne portera à faux : s’ils veulent se garantir, ils battront en retraite, cachés sous leurs boucliers. Ce seront des aveugles que nous frapperons où nous voudrons, et que nous mettrons en fuite en tombant sur eux avec toutes nos forces.

« Guerriers que chacun de vous combatte comme s’il était convaincu qu’il sera le principal auteur d’une victoire qui nous rendra en ce jour, s’il plaît à Dieu, notre patrie, nos maisons, notre liberté. nos privilèges, nos femmes, nos enfans. Heureux ceux qui verront le plus agréable des jours, le jour de la victoire ! Heureux aussi qui mourra au champ d’honneur ! Où pourrait-on trouver un plus magnifique tombeau ! Je commencerai, dès qu’il en sera temps, l’hymne du combat : dès que nous aurons invoqué le dieu Mars, avançons tous ensemble animés d’une même ardeur, et vengeons nos injures. »

Il dit, et se tourna vers les ennemis, sans faire de mouvement ; car le devin défendit de donner, qu’il n’y eût quelqu’un de tué ou de blessé. « Alors, ajouta le devin, vous marcherez, et la victoire vous suivra ; pour moi, si j’en crois un secret pressentiment, je trouverai la mort. » Il ne se trompa point ; car dès qu’il eut repris ses armes, il se jeta en forcené au milieu des ennemis et fut tué : on l’inhuma au passage du Céphise. Le reste, victorieux, poussa l’ennemi jusque dans la plaine, après avoir tué, du nombre des Trente, Critias et Hippomaque ; des dix généraux du Pirée, Charmide, fils de Glauchon ; et avec lui, environ soixante-dix hommes.

Le vainqueur, sans dépouiller les corps de ses concitoyens, se contenta de remporter leurs armes et rendit les morts pour la sépulture. Bientôt on s’approcha de part et d’autre ; on conférait ensemble. Le héraut des initiés, qui avait la voix forte, Cléocrite fit faire silence. « Citoyens, dit-il, pourquoi nous poursuivre ?