pourquoi vouloir nous arracher la vie ? Nous ne vous avons fait aucun mal ; nous avons fréquenté les mêmes temples, participé aux mêmes sacrifices, célébré ensemble les fêtes les plus solennelles ; les mêmes écoles et les mêmes chœurs nous ont réunis ; avec vous, nous avons combattu et bravé les dangers sur terre et sur mer, pour le salut et la liberté commune.
« Au nom de nos dieux paternels et maternels, au nom de tous les liens de la consanguinité, d’alliance, d’amitié, qui nous unissent les uns avec les autres ; pénétrés de respect pour les dieux et les hommes, cessez d’offenser la patrie, d’obéir à d’insignes scélérats, à ces Trente qui, pour leur intérêt personnel, ou fait périr plus d’Athéniens en huit mois que tous les Péloponnésiens dans l’espace de dix années. Nous pouvions vivre en paix, et ils nous suscitent la guerre la plus déplorable, la plus honteuse, la plus criminelle, la plus abominable aux yeux des dieux et des hommes. Sachez-le, nous avons pleuré autant que vous-mêmes plusieurs de ceux qui viennent de tomber sous nos coups. »
Les chefs, craignant les suites d’un tel discours, firent rentrer leurs guerriers dans la ville. Le lendemain, les Trente siégèrent dans le conseil, tristes et désolés ; les trois-mille, quelque place qu’ils occupassent, se disputaient entre eux. Ceux qui se reprochaient des actes de violence et qui en redoutaient les suites, soutenaient fortement qu’on ne devait point transiger avec le Pirée. Ceux au contraire que rassurait leur innocence, commençaient à se reconnaître ; ils représentaient à leurs compagnons qu’ils devaient éloigner d’eux tous ces maux, qu’il ne fallait ni obéir aux Trente ni souffrir la ruine de l’état. Enfin il fut arrété que les tyrans seraient destitués et qu’on procèderait à une nouvelle élection. On nomma dix magistrats à leur place.
Les Trente se retirèrent alors à Eleusis : les décemvirs travaillèrent, de concert avec les hipparques, à apaiser les troubles, à calmer les défiances. Les cavaliers passaient la nuit dans l’Odée avec leurs chevaux et leurs boucliers ; et comme ils ne savaient à qui se fier, ils s’armaient de ces boucliers et faisaient le guet toute la nuit autour des murailles ; le matin, ils remontaient à cheval, appréhendant sans cesse d’être assaillis par ceux du Pirée.
Ceux-ci étant en grand nombre et mêlés de toute sorte de gens, fabriquaient, les uns des boucliers de bois, les autres des boucliers d’osier, qu’ils blanchissaient. Dix jours n’étaient pas encore écoulés depuis le combat, qu’ils promirent isotélie même aux étrangers qui se joindraient à eux ; il leur vint plusieurs hoplites et plusieurs escarmoucheurs. ils eurent de plus un renfort de soixante-dix chevaux. ils allaient fourrager, puis revenaient avec du bois et des fruits, et passaient la nuit au Pirée ; tandis qu’il ne sortait de la ville aucun homme armé, excepté les cavaliers, qui tombaient sur les fourrageurs du Pirée, dont ils incommodaient les troupes.
Un jour, ces cavaliers rencontrèrent des Éxoniens, qui étaient allés à leur campagne chercher des provisions : l’hipparque Lysimaque les fit égorger, malgré les instantes prières des uns et les murmures des autres. Ceux du Pirée, par représailles, tuèrent le cavalier Callistrate, de la tribu léontide, qu’ils prirent dans les champs. Ils devenaient si hardis, qu’ils couraient jusqu’aux portes de la ville. Je ne passerai point sous silence l’idée d’un ingénieur de la ville, qui, ayant appris qu’ils devaient avancer des machines le long d’un chemin où l’on s’exerce à la course, et qui conduit au Lycée, mit en réquisition toutes les bêtes de somme pour voiturer d’énormes pierres que l’on déchargeait ça et là dans le chemin ; ce qui causait beaucoup d’embarras.
Cependant les trente tyrans retirés à Eleusis, et les trois-mille enrôlés restés dans la ville, envoyèrent à Lacédémone demander du secours, comme si tout le peuple eût secoué le joug lacédémonien. Lysandre se persuada qu’il était aisé de bloquer le Pirée par mer et par terre ; il obtint pour la ville un prêt de cent talens, pour lui la conduite des troupes de terre et le commandement de la flotte pour son frère Libys. Arrivé à Éleusis, il leva beaucoup d’hoplites péloponnésiens : son frère bloqua par mer le Pirée ; bientôt les assiégés manquèrent de vivres, tandis que la présence de Lysandre encourageait ceux de la ville.
Tel était l’état des choses, lorsque le roi Pausanias, jaloux de Lysandre, que des succès couvriraient de gloire et rendraient maître d’Athènes, gagna dans son parti trois éphores, et sortit avec ses troupes, suivi de tous les alliés, à l’exception des Bœotiens et des Corinthiens.