Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/374

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lège. C’était par un autre motif qu’il restait à Sparte ; il savait que s’il acceptait le commandement, ses concitoyens l’accuseraient d’avoir sacrifié la tranquillité publique à la cause des tyrans : il les laissa donc arbitres du parti qu’ils prendraient.

A l’instigation de ceux qu’on avait exilés après les massacres de Thèbes, les éphores envoyèrent Cléombrote, au fort de l’hiver : c’était sa première campagne. Comme Chabrias était posté sur la route d’Éleuthère avec les peltastes athéniens, Cléombrote monta par la voie Platée ; ses peltastes s’avancèrent et trouvèrent le haut des montagnes défendu par ceux qu’on avait tirés des prisons de Thèbes. Ils étaient au nombre d’environ cent cinquante : la fuite seule en sauva quelques-uns. Quant à lui, il descend vers Platée, encore alliée de Lacédémone, vient à Thespie ; de là s’avance à Cynocéphale, ville thébaine, où il campe seize jours, puis revient à Thespie, où il laissa l’harmoste Sphodrias avec le tiers des troupes alliées. Il lui donna tout l’argent qu’il avait apporté de Sparte, avec ordre de solder en outre des troupes étrangères ; ce que Sphodrias exécuta.

Cléombrote ramena ses troupes à Lacédémone par Creusis, sans que l’on sût s’il y avait paix ou guerre avec les Thébains : il était bien entré sur leurs terres à main armée ; mais il en était sorti en leur causant le moins de dommage possible. Au départ, souffla un vent impétueux que quelques-uns jugèrent un présage de l’avenir. En effet, entre autres désordres, comme Cléombrote avec son armée franchissait la montagne qui va de Creusis à la mer, ce vent précipita du haut en bas quantité d’ânes avec leurs charges, et emporta beaucoup d’armes, qui se perdirent dans la mer. Beaucoup de guerriers ne pouvant marcher, laissèrent ça et là, sur le faîte de la montagne, leurs boucliers renversés et remplis de pierres. Ce jour-là ils soupèrent comme ils purent à Égosthène, ville du territoire de Mégare. Le lendemain ils vinrent reprendre leurs armes ; et licenciés par Cléombrote, ils s’en retournèrent chez eux.

Les Athéniens, considérant que Sparte était puissante, qu’elle avait terminé la guerre avec Corinthe, et que, pour ainsi dire, maîtresse des côtes de l’Attique, elle avait envahi Thèbes, furent saisis d’une telle épouvante qu’ils firent le procès aux deux généraux qui avaient su la conspiration de Mellon contre Léontiade : l’un fut condamné à mort, l’autre à l’exil, pour n’avoir pas attendu son jugement.

Les Thébains, de leur côté, dans l’appréhension que tout le poids de la guerre ne tombât sur eux, s’avisèrent d’un stratagème. Sphodrias était armoste de Thespie : ils lui persuadèrent par argent, comme le bruit en courut, de fondre sur l’Attique, afin d’animer Athènes contre Lacédémone. Sphodrias gagné se flatte qu’il va s’emparer du Pirée qui n’est pas fermé, part de Thespie après avoir soupé de bonne heure, et dit avec confiance à ses troupes qu’il arrivera avant le jour au Pirée ; mais le jour le surprit à Thrie ; et au lieu de tenir son projet caché, il se détourna de son chemin pour enlever des troupeaux et piller des maisons. Quelques-uns de ceux qui l’avaient rencontré accoururent, de nuit, avertir les Athéniens de l’approche d’une grande armée. Bientôt les cavaliers et les hoplites se mettent sous les armes ; la ville est gardée.

Étymoclès, Aristolochus, Ocellus, députés de Sparte, se trouvaient par hasard à Athènes chez Callias, proxène de leur république. Les magistrats en sont informés ; ils les font arrêter comme complices du fait. Saisis d’effroi, ceux-ci représentent pour leur justification, que s’ils eussent connu le projet de surprendre le Pirée, ils n’eussent point porté la démence jusqu’à se livrer eux-mêmes renfermés dans la ville, surtout chez leur proxène, où on les avait aisément trouvés : « Athéniens, vous reconnaîtrez bientôt que la république de Sparte est aussi étrangère que nous à de telles menées ; bientôt, nous vous l’assurons, vous apprendrez que Sphodrias a été puni de mort. » On les juge non complices : ils sont congédiés. Les éphores rappellent Sphodrias, et s’armant d’une feinte sévérité, lui intentent un procès capital. Celui-ci craignit de comparaître, et quoique coupable de contumace, fut absous ; jugement que trouvèrent inique bien des Lacédémoniens. Voici ce qui l’occasiona.

Sphodrias avait un fils nommé Cléonyme, le plus beau et le plus vertueux de la classe des enfans, qu’il venait de quitter : Archidamus, fils d’Agésilas, l’aimait. Les favoris de Cléombrote inclinaient pour l’absolution de Sphodrias, leur