Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/382

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ses gens diminuait à toute heure. Enfin les Corcyréens, rassemblant leurs forces, tombèrent tous ensemble sur Mnasippe et les siens, réduits à un petit nombre. Les hoplites, voyant ce qui se passait, sortirent de la ville, fondirent sur lui : dès qu’ils l’eurent tué, ils poursuivirent les troupes consternées. Ils eussent pris le camp et les retranchemens, si à la vue d’un amas de valets, d’esclaves, de marchands, qu’ils prirent pour des auxiliaires, ils ne fussent revenus sur leurs pas. Les Corcyréens dressèrent un trophée et rendirent les morts.

Depuis cette action, les citadins reprirent courage, tandis que les Lacédémoniens étaient dans l’abattement ; car, outre qu’on annonçait l’arrivée d’Iphicrate, les assiégés appareillaient réellement leurs vaisseaux. Le lieutenant de Mnasippe, Hyperménès, ayant donc rassemblé toute sa flotte et fait le tour de la tranchée, chargea d’esclaves et de bagage tous les vaisseaux de transport, et les renvoya, tandis qu’il restait pour garder la tranchée, avec les épibates et les soldats échappés du combat : mais bientôt saisis d’épouvante, ces derniers aussi remontent sur les trirèmes et mettent à la voile, laissant dans le camp quantité de blé, de vin, d’esclaves et de soldats malades, tant ils appréhendaient d’être surpris dans l’île par les Athéniens. Ils se sauvèrent à Leucade.

Cependant Iphicrate s’embarque et vogue en ordre de bataille, se préparant à un combat naval. Il avait ôté les grandes voiles : quant aux petites, il en faisait peu usage, même avec un vent favorable. Il voguait à force de rames, autant pour fortifier les corps de ses matelots que pour rendre ses galères agiles. Souvent, lorsqu’il s’agissait de prendre les repas, les trirèmes partaient de terre et tournaient le cap en conservant leurs rangs ; puis, dirigeant leur proue en sens contraire, couraient à l’envi prendre terre ; car c’était une grande victoire de dîner les premiers, de se procurer les premiers et de l’eau et d’autres choses aussi nécessaires ; de même que c’était un grand sujet de peine pour les derniers venus, d’être mal partagés et contraints de remonter au premier signal. Les premiers faisaient tout à loisir, et les derniers précipitamment. Lorsque Iphicrate prenait ses repas sur une côte ennemie, il posait, comme cela devait être, des corps de garde en divers endroits, et faisait dresser les mâts des galères, afin que l’on observat. De ces mâts, les sentinelles découvraient souvent plus loin que celles de terre, quelque élevées qu’elles fussent. Soupait-il ou prenait-il du repos, il n’allumait point de feu dans le camp, mais en avant du camp, pour voir sans être vu. Dans un beau temps, il faisait voile aussitôt qu’il avait soupé. Avait-on un vent favorable, tout l’équipage reposait, ou chacun à son tour s’il fallait ramer. Le jour, ils marchaient tantôt en front, tantôt à la file. Par là, en même temps qu’ils voguaient, ils entraient bien exercés, bien appareillés, dans une mer qu’ils croyaient sous la domination ennemie. Souvent il dînait et soupait sur le rivage ennemi ; mais comme il n’y demeurait qu’autant qu’il était nécessaire, il était parti avant qu’on pût l’atteindre, et bientôt il arrivait.

Il reçut la nouvelle de la mort de Mnasippe à Sphagée, sur les côtes de Laconie. Dès qu’il fut dans l’Élide, il passa l’embouchure de l’Alphée, et campa, la nuit, au cap du Poisson. Le lendemain il cingla vers Céphallénie, observant dans son trajet un ordre tel, que rien ne pût lui manquer s’il fallait en venir aux mains. Il ne savait la mort de Mnasippe d’aucun témoin oculaire ; et dans la crainte que cette nouvelle ne fût un stratagème, il se tenait sur ses gardes. Arrivé à Céphallénie, et bien informé, il donna du repos à ses troupes.

Je sais qu’on ne néglige rien de tout cela à la veille d’une bataille ; mais je le loue de ce que, obligé de se rendre en diligence où il s’attendait à combattre l’ennemi, il trouva le moyen d’instruire l’équipage pendant le trajet, sans retarder la marche par ses exercices.

Maître des villes de Céphallénie, il fit voile vers Corcyre. Sur la nouvelle de l’approche de dix trirèmes que Denys envoyait aux Lacédémoniens, il entre lui-même dans l’île et choisit un endroit d’où l’on découvre l’arrivée de la flotte, et d’où les signaux puissent être vus des citadins. Il y posa des sentinelles et convint avec elles du mode d’avertir de l’arrivée de ces trirèmes au port. Il enjoignit à vingt triérarques de le suivre à la voix du héraut, leur déclarant que ceux qui ne suivraient pas mériteraient châtiment.

Bientôt le signal de l’approche de l’ennemi est donné, et la voix du héraut entendue : il fal-