Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/383

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lait voir l’empressement général ; il n’y eut aucun, soit des soldats soit des officiers commandés, qui ne se rendît au port en courant. Arrivé où étaient les galères ennemies, le général athénien prit les hommes qui en étaient descendus. Mélanippe de Rhodes avait vu le danger et criait qu’on se retirât en diligence : il recueillit ses gens dans sa galère, prit le large et se sauva, quoique rencontré par Iphicrate. Mais les galères de Syracuse furent prises avec ceux qui les montaient, et remorquées au port de Corcyre après avoir été mises hors de combat. Chacun d’eux fut tenu de payer une somme déterminée. On excepta Cnippe, leur commandant : on le garda pour en tirer une grosse somme, ou pour le vendre ; mais de désespoir, ce général se donna la mort. Les autres prisonniers furent congédiés sur la parole des Corcyréens, qui répondirent de leur rançon.

Tant que la flotte d’Iphicrate occupa ces côtes, les matelots vécurent surtout en cultivant les champs des Corcyréens : pour les peltastes et les hoplites de ces vaisseaux, le général athénien les fit passer en Acarnanie, où il protégea les villes amies qui réclamaient son secours, et fit la guerre à ceux de Thurium, dont la place était forte, et les habitans courageux. Dès qu’il se vit à la tête d’une flotte qui, renforcée des galères de Corcyre, montait à quatre-vingt-dix, il fit d’abord voile vers Céphallénie, d’où il tira de l’argent, partie de bon gré, partie de force. il se prépara ensuite à ravager le territoire de Lacédémone, à grossir son parti des villes ennemies qui préviendraient le danger, à combattre celles qui résisteraient. Expédition glorieuse où je loue Iphicrate d’avoir demandé qu’on lui associàt l’orateur Callistrate, qui était peu son ami, et Chabrias, général expérimenté ! S’il les croyait prudens et qu’il voulût s’aider de leurs conseils, il agissait sagement : il avait une haute idée de ses forces, si, les croyant ses antagonistes, il se persuadait qu’ils ne lui reprocheraient ni lâcheté ni négligence. Telle fut sa conduite.


CHAPITRE III.


Cependant les Athéniens voyaient d’une part ceux de Platée, amis de leur république, qui chassés de la Bœotie imploraient leur secours, et d’autre part les Thespiens demandant avec instance qu’on ne les vît pas d’un œil indifférent exilés de leur patrie. Mécontens des Thébains, ils ne jugeaient ni honnête ni utile de leur faire la guerre ; mais quand ils s’aperçurent que ceux-ci persécutaient les Phocéens, leurs anciens amis ; que des villes d’un courage et d’une fidélité reconnus dans la guerre contre le roi de Perse, n’offraient plus que des ruines, ne voulant pas se rendre complices de pareilles violences, ils résolurent de négocier la paix. Ils envoyérent d’abord des députés aux Thébains, pour les inviter à les suivre à Lacédémone, afin de proposer la paix ; ils firent ensuite partir leurs députés. On avait élu Callias, fils d’Hipponicus ; Autoclès, fils de Strombichide ; Démostrate, fils d’Aristophon ; Aristoclès, Céphisodote, Mélanope, Lycanthe.

Ils arrivent à Sparte, où se trouva aussi Callistrate : cet orateur avait promis à Iphicrate, s’il le laissait aller, ou la paix, ou des fonds pour l’entretien de la flotte. il venait d’Athènes en qualité de négociateur. Dès qu’ils eurent été, en présence des alliés, présentés au conseil, le porte-torche Callias porta la parole. Cet homme, qui n’aimait pas moins à se louer lui-même qu’à être loué, commença en ces termes :

« Lacédémoniens, je ne suis pas, dans ma famille, le premier ami de Sparte ; mon aïeul avait hérité de son père cette amitié, qu’il a transmise à ses enfans : jugez vous-mêmes de la considération dont je jouis dans mon pays. Est-on en guerre, ou m’élit général ; désire-t-on la paix, on m’envoie pour la conclure ; deux fois député pour cet objet à Lacédémone, j’ai réussi dans mes deux ambassades à la satisfaction des deux partis : je viens pour la troisième fois parmi vous ; et je crois avec beaucoup plus de raison que je ne serai pas moins heureux.

« Loin que nous différions d’opinions, je vous vois, au contraire, aussi mécontens que nous de la ruine de Thespie et de Platée. Ayant les mêmes sentimens, ne devons-nous pas être amis plutôt qu’ennemis ? Des sages doivent craindre la guerre, même lorsque de grands intérêts les divisent ; mais si nous sommes d’accord, ne serait-il pas étrange que nous ne fissions point la paix ? Je dis plus, nous n’aurions pas dû prendre les armes les uns contre les autres. C’est