Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/384

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Triptolème, un de nos ancêtres, qui a, dit-on, initié aux mystères de Cérès et de Proserpine, Hercule, votre premier auteur, Castor et Pollux, deux de vos héros. C’est au Péloponnèse que Triptolème a offert les premiers dons de Céres. Était-il donc juste que vous vinssiez ravager les moissons du peuple à qui vous devez vos premières semences ? Et nous, pouvions-nous ne pas souhaiter la plus grande abondance de grains chez un peuple qui les tenait de notre libéralité ? S’il est écrit dans le livre des destins qu’il y ait des guerres parmi les hommes, il faut du moins les commencer tard et les finir le plus tôt possible. »

A Callias succéda Autoclès, orateur véhément : « Lacédémoniens, mon discours, je le sais, ne vous sera pas agréable ; mais je crois que lorsqu’on veut former une paix solide, il importe aux deux partis de s’instruire des causes de rupture. Vous répétez sans cesse que les républiques doivent être autonomes ; et c’est vous qui les premiers apportez le plus d’obstacles à leur liberté : vous imposez à vos alliés, pour première condition, qu’ils vous suivront partout où il vous plaira de les conduire. Est-ce donc là de l’autonomie ? Sans consulter vos alliés, vous faites une déclaration de guerre, et vous décrétez une conscription ; en sorte que bien souvent des peuples que l’on dit autonomes se voient contraints de marcher contre leurs meilleurs amis.

« De plus, et c’est porter le dernier coup à l’autonomie, vous constituez dans les villes, ici dix, là trente hommes pour les régir ; et peu vous importe qu’ils les gouvernent avec justice, pourvu qu’ils les contiennent par la crainte : on dirait que vous préférez l’administration tyrannique au régime républicain.

« Lorsque le roi de Perse proclamait la liberté des républiques, vous déclariez hautement que les Thébains agiraient contre le vœu du monarque s’ils ne permettaient pas à chaque ville de se gouverner elle-même d’après les lois qui lui plairaient ; et cependant vous avez enlevé la Cadmée, et vous n’avez pas permis aux Thébains eux-mêmes de vivre autonomes. Lorsqu’on désire d’être ami, peut-on réclamer les principes de l’équité et agir soi-même d’après les vues d’une ambition effrénée ? »

Ce discours, suivi d’un silence général, plut extrêmement à ceux qui n’aimaient pas les Lacédémoniens. Callistrate prit ensuite la parole :

« Lacédémoniens, je ne puis nier que vous et nous n’ayons fait de grandes fautes ; je ne pense cependant pas que des erreurs offrent un obstacle insurmontable à la réconciliation. Je ne connais point d’homme à qui l’on ne puisse reprocher d’avoir failli ; et il me semble que ceux qui ont payé ce tribut à l’humanité n’en deviennent que plus sages, surtout s’ils sont punis comme nous le sommes. Et à vous aussi, quelques actions inconsidérées, telles que la prise de la Cadmée, ne vous ont-elles pas occasioné plus d’un revers ? Vous qui, auparavant, paraissiez jaloux que les villes fussent libres, vous les vîtes toutes passer dans le parti des Thébains opprimés. Instruits par des malheurs inséparables de l’ambition, vous serez donc à l’avenir et plus réservés et meilleurs amis.

« A en croire quelques ennemis de la paix, ce qui nous amène à Lacédémone, ce n’est pas le désir de votre amitié, mais la crainte d’Antalcide revenant chargé de l’or du roi de Perse. Considérez combien cette imputation est frivole. Le roi de Perse veut l’indépendance des villes grecques : pensant et agissant comme ce monarque, qu’aurions-nous à craindre de lui ? n’aimera-t-il pas mieux consolider sa puissance sans qu’il lui en coûte, que prodiguer son or à l’agrandissement de certains peuples ?

« Mais enfin, pourquoi sommes-nous ici ? vous jugerez que ce n’est nullement pour sortir d’embarras, si vous considérez nos forces actuelles, tant sur terre que sur mer. Quel est donc le sujet de notre ambassade ? la conduite peu satisfaisante de quelques alliés envers nous, la déférence trop marquée de quelques autres à vos volontés. Nous vous devons notre salut : en reconaissance de ce bienfait, il est juste que nous vous fassions part de quelques réflexions solides et utiles. Toutes les villes de la Grèce se partagent entre Athènes et Sparte ; dans chaque ville, les uns sont partisans des Lacédémoniens, les autres des Athéniens : si nous devenons amis, quel adversaire pourrions-nous raisonnablement redouter ? Forts de votre amitié, qui oserait nous molester par terre ? assurés de la nôtre, qui vous inquièterait par mer ?

« Nous le savons tous, les guerres naissent